Dans l’arrêt de grande chambre The Department for Communities in Northern Ireland du 15 juillet 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les limites de l’application du droit de l’Union européenne au Royaume-Uni pendant la période de transition. Cet arrêt clarifie les conditions d’application de l’interdiction de discrimination en vertu de la directive 2004/38 et souligne l’importance de la Charte dans l’interprétation des dispositions en matière de citoyenneté.
CG est une ressortissante croate et néerlandaise, mère de deux enfants en bas âge, économiquement inactive et résidante en Irlande du Nord. Elle est arrivée au Royaume-Uni avec son partenaire, dont elle s’est séparée par la suite pour des raisons de violence conjugale. CG a obtenu un droit de séjour temporaire en Irlande du Nord le 4 juin 2020 sur la base de l’annexe UE du régime de résidence adopté par le Royaume-Uni en prévision du retrait de cet État de l’Union européenne. Elle souhaite bénéficier d’une prestation d’assistance sociale dénommée crédit universel. Sa demande, déposée le 8 juin 2020, est rejetée. La juridiction nationale demande à la Cour si un tel refus est compatible avec les dispositions de droit de l’Union en matière de citoyenneté.
La Cour affirme d’abord sa compétence pour se prononcer sur cette affaire en vertu des articles 86 et 126 de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. La Cour est compétente pour statuer sur les demandes préjudicielles présentées avant la fin de la période de transition, soit avant le 31 décembre 2020. La présente demande préjudicielle a été introduite le 30 décembre 2020 et concerne un litige au sujet d’une demande de prestation d’assistance sociale formée le 8 juin 2020. La situation en cause au principal relève du champ d’application ratione temporis du droit de l’Union.
La Cour examine ensuite si le refus, par les autorités britanniques, d’octroyer le crédit universel à CG est contraire à l’article 24 de la directive 2004/38, lequel interdit toute discrimination à l’égard des citoyens de l’Union qui séjournent sur le territoire d’un autre État membre. Le deuxième paragraphe de cette disposition autorise, en revanche, l’État membre d’accueil à refuser l’octroi d’une prestation d’assistance sociale dans certaines circonstances. La Cour rappelle qu’un citoyen de l’Union ne peut pas demander à bénéficier de l’égalité de traitement instituée par l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38 en ce qui concerne l’accès aux prestations d’assistance sociale si son séjour ne respecte pas les conditions posées par la directive 2004/38. Or CG ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 7, paragraphe 1, pour un séjour supérieur à trois mois mais inférieur à cinq ans puisque, étant économiquement inactive, elle ne dispose pas de ressources suffisantes pour elle et les membres de sa famille. Le droit de séjour de CG ne résulte pas de la directive 2004/38 mais uniquement du droit national. La règle relative à l’égalité de traitement énoncée à l’article 24 de la directive 2004/38 n’est donc pas applicable et les autorités britanniques étaient en droit de refuser l’octroi du crédit universel à CG.
Cela étant, le refus des autorités d’octroyer le crédit universel à CG doit aussi être examiné au regard de la Charte. Même si CG ne remplit pas les conditions pour bénéficier de l’égalité de traitement en vertu de l’article 24 de la directive 2004/38, elle a exercé sa liberté fondamentale de circuler et séjourner dans un autre État membre de l’Union conférée par l’article 21, paragraphe 1, TFUE. En accordant, en vertu du droit national, un droit de séjour temporaire à CG, les autorités britanniques ont mis en œuvre les dispositions du TFUE relatives au statut de citoyen de l’Union et doivent se conformer aux dispositions de la Charte. Les autorités doivent s’assurer que CG, qui se trouve dans une situation de vulnérabilité, puisse vivre dans des circonstances dignes. Elles sont notamment tenues de vérifier si le refus de sa demande de prestation d’assistance sociale n’expose pas CG et ses enfants à un risque concret et actuel de violation de leurs droits fondamentaux, tels que consacrés par les articles 1 (dignité humaine), 7 (respect de la vie privée et familiale) et 24 (droits de l’enfant) de la Charte.
L’arrêt The Department for Communities in Northern Ireland précise le champ d’application de la directive 2004/38 mais souligne surtout l’importance de la Charte en matière de citoyenneté de l’Union. Ce texte protège les individus lorsque d’autres règles plus spécifiques ne sont pas applicables. Cet arrêt examine également une catégorie spéciale de citoyens, ceux qui sont en situation de vulnérabilité, et leur offre un degré de protection accru.
Elisabet Ruiz Cairó, Application de la directive 2004/38 et la Charte à un citoyen de l’Union économiquement inactif, actualité du CEJE n° 25/2021, disponible sur www.ceje.ch