Dans un arrêt du 13 novembre 2025, aff. C‑499/23, Commission c. Hongrie, la Cour de justice a apprécié la compatibilité avec le droit de l’Union des règles hongroises en matière de protection d’approvisionnement des infrastructures critiques en matériaux de construction. En particulier, afin de répondre à la pénurie de matières premières à la suite de la pandémie de COVID-19 qui affectait les travaux de construction en Hongrie, ce dernier État membre a introduit un décret prévoyant une obligation de notification des exportations de matériaux de construction, assortie d’une sanction administrative en cas de non-respect de cette obligation par les opérateurs économiques. Cette obligation s’appliquait à la fois aux exportations depuis la Hongrie vers d’autres États membres de l’Union et vers des pays tiers. De surcroît, en vertu de cette réglementation, les autorités hongroises compétentes disposent de dix jours ouvrables pour exercer un droit de préemption et d’achat sur ces matériaux, lorsqu’elles considèrent que leur vente ou leur exportation à l’étranger entrave de manière significative ou rend impossible la construction, l’exploitation, l’entretien ou le développement d’infrastructures critiques sur le territoire national. Considérant cette mesure nationale contraire à la libre circulation des marchandises et la compétence exclusive de l’Union en matière de politique commerciale commune, la Commission européenne a saisi la Cour de justice d’un recours en manquement sur la base de l’article 258 TFUE.
Dans un premier temps, la Cour de justice a rappelé qu’en vertu de l’article 35 TFUE, les restrictions quantitatives à l’exportation vers d’autres États membres, ainsi que toutes mesures d’effet équivalent, sont interdites. Or, il ressort de la jurisprudence bien établie de la Cour que constituent des « mesures d’effet équivalent » à des restrictions quantitatives à l’exportation les mesures nationales qui ont pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d’exportation et d’établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d’un État membre et son commerce d’exportation. A cet égard, la Cour de justice a constaté que le décret hongrois prévoyait une obligation de notification des exportations de matériaux de construction, alors qu’une telle obligation n’était pas prévue par le droit hongrois concernant les opérations de vente des matériaux de construction sur le territoire national. Ainsi, elle en a conclu que le décret no 402/2021 constituait une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’exportation, au sens de l’article 35 TFUE.
Néanmoins, une mesure nationale contraire à l’article 35 TFUE peut être justifiée par l’une des raisons d’intérêt général énumérées à l’article 36 TFUE ainsi que par une exigence impérative d’intérêt général, pourvu que l’objectif qu’elle poursuit soit légitime et qu’elle soit proportionnée à cet objectif. En l’espèce, la Hongrie a fait valoir devant la Cour de justice que les mesures prévues par le décret en question étaient justifiées par des raisons de sécurité publique, en particulier la sécurité de l’approvisionnement en matériaux de construction des infrastructures critiques. Or, pour la Cour de justice, si l’objectif de garantir la sécurité de l’approvisionnement des produits dans les secteurs du pétrole, des télécommunications et de l’énergie peut constituer une raison de sécurité publique, il n’en va pas de même en ce qui concerne la sécurité de l’approvisionnement en matières premières du secteur de la construction, sauf à démontrer que la pénurie de telles matières premières constitue une menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société. Etant donné que la Hongrie n’a apporté aucun élément de nature à étayer une telle hypothèse, la Cour de justice a considéré que la mesure nationale ne saurait être justifiée au titre de l’article 36 TFUE.
Dans un second temps, en ce qui concerne l’applicabilité du décret aux exportations vers des pays tiers, la Cour de justice a indiqué qu’en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous e), TFUE, l’Union dispose d’une compétence exclusive dans le domaine de la politique commerciale commune. Or, aux termes de l’article 2, paragraphe 1, TFUE, lorsque les traités attribuent à l’Union une compétence exclusive dans un domaine déterminé, seule l’Union peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants, les États membres ne pouvant le faire par eux-mêmes que s’ils sont habilités par l’Union ou pour mettre en œuvre les actes de l’Union. Dans ce contexte, la Cour de justice a souligné que le législateur de l’Union a adopté le règlement 2015/479 dans le cadre de cette compétence exclusive, en vue d’établir un régime commun applicable aux exportations. L’article 1er dudit règlement dispose que les exportations de l’Union à destination des pays tiers sont libres, sauf lorsque des restrictions aux exportations se fondent sur l’un des motifs énoncés à l’article 10 du même règlement, tels que des raisons de sécurité publique. La Cour de justice a précisé que la notion de « sécurité publique » figurant, respectivement, audit article 10 et à l’article 36 TFUE, doit se voir reconnaître une portée identique dans ces deux textes. Etant donné que la Cour n’avait pas accepté que le décret pouvait être justifié par des raisons de « sécurité publique », au sens de l’article 36 TFUE, la Hongrie ne saurait pas non plus invoquer ce même objectif afin de se prévaloir de la faculté offerte par l’article 10 du règlement 2015/479. A la lumière de ce qui précède, la Cour a constaté que la Hongrie a agi dans un domaine de compétence exclusive de l’Union sans y être habilitée.
En conclusion, l’arrêt Commission c. Hongrie illustre que les mesures nationales visant à restreindre les exportations des matières premières adoptées afin de protéger l’approvisionnement du secteur de construction des infrastructures critiques dans un État membre se heurtent à deux limites découlant du droit de l’Union. D’une part, la libre circulation des marchandises garantie, entre autres, par l’article 35 TFUE s’oppose, en principe, aux restrictions aux exportations vers d’autres États membres. D’autre part, la compétence exclusive de l’Union en matière de politique commerciale commune empêche, en principe, les États membres à établir de telles restrictions, en ce qui concerne les exportations vers des pays tiers. Si, dans les deux hypothèses, des restrictions aux exportations peuvent être admises lorsqu’elles sont justifiées par des raisons de sécurité publique, la Cour de justice donne une interprétation stricte à cette exception en ne l’acceptant que dans des situations particulièrement exceptionnelles.
Mateusz Miłek, Restrictions aux exportations de matières premières en droit de l’Union européenne, actualité n° 37/2025, publiée le 15 décembre 2025, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch