Dans l’affaire C-19/23 (Danemark c/ Parlement et Conseil (Salaires minimaux adéquats), la Cour de justice de l’Union européenne (« la Cour ») a annulé partiellement la directive (UE) 2022/2041 du Parlement européen et du Conseil, du 19 octobre 2022, relative à des salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne (JO 2022, L 275, p. 33, ci‑après la « directive attaquée »).
Par sa requête déposée le 18 janvier 2023 au sens de l’article 263 TFUE, le Danemark a demandé, à titre principal, l’annulation de la directive sur les salaires minimaux adéquats. A titre subsidiaire, le Danemark a demandé l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, sous d) et/ou de l’article 4, paragraphe 2 de la directive attaquée.
Cette directive, fondée sur l’article 153, paragraphes 1 et 2, sous b), TFUE, a pour objectif d’améliorer les conditions de vie et de travail dans l’Union européenne, en particulier le caractère adéquat des salaires minimaux pour les travailleurs, et de contribuer à la convergence sociale vers le haut en réduisant les inégalités salariales. L’article 4 de la même directive, intitulé « Promotion des négociations collectives en vue de la fixation des salaires » prévoit, à son paragraphe 1, lettre d), que les Etats membres prennent des mesures pour protéger les syndicats et les organisations d’employeurs participant ou souhaitant participer à la négociation collective contre tout acte d’ingérence des uns à l’égard des autres. Le paragraphe 2 du même article se lit comme suit : « En outre, chaque Etat membre dans lequel le taux de couverture des négociations collectives est inférieur au seuil de 80% prévoit un cadre offrant des conditions propices à la tenue des négociations collectives, soit sous la forme d’une loi […], soit sous la forme d’un accord avec [les] partenaires sociaux. Cet Etat membre établit également un plan d’action pour promouvoir la négociation collective. […] Le plan d’action fixe un calendrier clair et des mesures concrètes pour augmenter progressivement le taux de couverture des négociations collectives […]. L’Etat membre réexamine son plan d’action régulièrement et le met à jour si nécessaire. […] ».
A titre principal, le Danemark soulève deux moyens tirés, premièrement, de la méconnaissance de l’article 153, paragraphe 5, TFUE et d’un détournement des pouvoirs conférés au législateur de l’Union européenne ; et, deuxièmement, de l’impossibilité d’adopter la directive attaquée sur le fondement de l’article 153, paragraphe 1, sous b), TFUE. A titre subsidiaire, le Danemark soulève un seul moyen concernant le fait que, en adoptant l’article 4, paragraphe 1, sous d) et paragraphe 2, de la directive attaquée, le Parlement et le Conseil ont méconnu le principe d’attribution et ont violé l’article 153, paragraphe 5, TFUE. Cet article prévoit que « Les dispositions du présent article ne s’appliquent ni aux rémunérations, ni au droit d’association, ni au droit de grève, ni au droit de lock‑out. »
Concernant le premier moyen, la partie requérante considère que la directive attaquée comporte une ingérence directe du droit de l’Union européenne dans la rémunération au sein des Etats membres, en violation de l’article 153, paragraphe 5, TFUE, et de la répartition des compétences entre l’Union et ses Etats membres prévue à cet article.
En réponse à ce grief, la Cour rappelle que l’Union européenne n’agit que dans les limites des compétences que les Etats membres lui ont attribuées dans les traités, en vertu du principe d’attribution énoncé à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphes 1 et 2, TUE. Ensuite, elle vérifie si, en adoptant la directive attaquée, le législateur de l’Union a enfreint les exclusions de compétence relatives aux « rémunérations » et au « droit d’association » énoncées à l’article 153, paragraphe 5, TFUE. A la lumière de sa jurisprudence constante, selon laquelle le choix de la base juridique doit être fondé sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel (Royaume-Uni/Conseil, C‑84/94 ; Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18), la Cour examine la finalité et le contenu de la directive attaquée. Il découle de son examen que la directive a établi un cadre pour la fixation de salaires minimaux adéquats, relevant, à première vue, d’une ou plusieurs matières énumérées à l’article 153, paragraphe 1, TUE. Bien que la directive attaquée se rapporte à la matière des rémunérations et est susceptible d’avoir une influence sur celles-ci, ces seules conditions ne sauraient automatiquement conduire à la conclusion que le législateur aurait enfreint l’exclusion de compétence relative aux « rémunérations », prévue à l’article 153, paragraphe 5, TFUE.
Concernant la question de savoir si les articles de la directive comportent une ingérence directe du droit de l’Union européenne dans la détermination des rémunérations au sein de celle-ci, la Cour juge que l’article 4 ne comporte pas une ingérence directive et n’enfreint pas l’exclusion relative aux « rémunérations ». Toutefois, cela est le cas pour l’article 5 concernant la procédure de fixation de salaires minimaux légaux adéquats, au motif que certaines dispositions contenues dans cet article relèvent des domaines soustraits aux compétences de l’Union européenne, en vertu de l’article 153, paragraphe 5, TFUE.
Concernant la violation de l’exclusion de compétence relative au « droit d’association », prévue à l’article 153, paragraphe 5, TFUE, la Cour décide d’écarter cette deuxième branche du premier moyen comme non fondée car l’article 4, paragraphe 2, de la directive attaquée ne comporte pas d’ingérence directe du droit de l’Union européenne dans le droit d’association.
Sur le deuxième moyen concernant le choix de la base juridique de la directive attaquée, la Cour considère que la directive attaquée comporte des phrases contenues dans l’article 5 qui échappent aux compétences législatives de l’Union européenne dans les matières visées à l’article 153, paragraphe 1, sous b) et f), TFUE. Ensuite, les autres dispositions de l’article 5 de la directive attaquée, ainsi que les articles 6 à 8 de celle‑ci, se rattachent au domaine des « conditions de travail », visé à l’article 153, paragraphe 1, sous b), TFUE. Il résulte de ces considérations que la directive attaquée relève du domaine de compétence visé à l’article 153, paragraphe 1, sous b), TFUE et non de celui visé à l’article 153, paragraphe 1, sous f), TFUE. Par conséquent, la Cour juge le second moyen comme étant non fondé.
En conclusion, les moyens présentés à titre principal par le Danemark sont partiellement fondés, en tant qu’ils tendent à l’annulation partielle de l’article 5 de la directive attaquée. Le moyen unique soulevé à titre subsidiaire est fondé sur les mêmes arguments que ceux qui sont invoqués à titre principal. Ces derniers arguments étant écartés dans le cadre de l’appréciation du premier moyen à titre principal, le moyen soulevé à titre subsidiaire doit également être écarté.
L’interprétation litigieuse des exclusions de compétences de l’Union européenne, comme celles prévues à l’article 153, paragraphe 5, TFUE en matière de politique sociale, n’est qu’un exemple d’une question plus large concernant la délimitation des compétences conférées à l’Union par ses Etats membres. Une question qui ne cessera pas d’interroger les juridictions de l’Union européenne, notamment à la lumière de développements législatifs inédits à l’ère du digital (voir, par exemple, le règlement (UE) 2024/1689 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle).
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Sara Notario, Annulation partielle de la directive sur les salaires minimaux adéquats pour violation de la répartition des compétences entre l’Union européenne et ses États membres,actualité n° 36/2025, publiée le 26 novembre 2025, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch;