Dans l’affaire T-771/10 RENV (KS et KD contre Conseil e.a.), le Tribunal de l’Union européenne a rejeté le recours en indemnité visant à demander la réparation du préjudice prétendument subi à la suite des actes et des omissions du Conseil, de la Commission européenne et du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) dans le contexte de la mission civile « Etat de droit » menée en Kosovo.
En 2008, l'Union européenne a mis en place la mission « État de droit » au Kosovo (« EULEX Kosovo »). Parmi les tâches qui lui ont été confiées en vertu de l'action commune 2008/124/PESC du Conseil (« action commune »), la mission exerce des fonctions d'enquête sur les disparitions et les meurtres survenus pendant le conflit du Kosovo en 1999. Au fil des années, les familles des victimes enlevées et tuées ont déposé des plaintes, estimant que la mission ne s'acquittait pas efficacement de son devoir d'enquête, devant différents organes, dont une commission de contrôle dépourvue de pouvoirs contraignants.
En 2020, KS et KD ont demandé réparation, par un recours fondé sur l’article 268 TFUE, lu en combinaison avec l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, en relation avec lesdits actes et omissions devant le Tribunal de l’Union européenne. En première instance, le Tribunal a rejeté le recours en considérant que, en vertu des limites inscrites dans les Traités en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC), il n’était pas compétent pour juger d’une telle affaire (aff. T-771/20). Par le biais d’un pourvoi introduit devant la Cour de justice contre l’ordonnance du Tribunal, la Cour de justice a admis sa compétence en la matière et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal (aff. jointes C-29/22 P et C-44/22 P). Dans le cadre de la procédure de renvoi, le Tribunal a rejeté les griefs soulevés par les requérantes.
Concernant le premier grief, les requérantes font valoir que l’absence d’enquêtes adéquates sur la disparition de leurs proches est imputable au Conseil, à la Commission et au SEAE. A cet égard, l’article 16, paragraphe 5, de l’action commune, telle que modifiée par la décision 2014/349, transfère à la mission Eulex Kosovo, à compter du 15 juin 2014, la responsabilité de toute plainte et obligation liée à l’exécution de son mandat. Dès lors, selon l’appréciation du Tribunal, le premier grief est entaché d’une erreur dans la désignation de la partie défenderesse et doit être rejeté comme manifestement irrecevable.
Dans le cadre du deuxième grief, les requérantes font valoir que les dispositions de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 13 de la CEDH ainsi que de l’article 47 de la Charte exigent, d’une part, que dans le cadre des procédures devant la commission de contrôle il soit possible de bénéficier de l’aide juridictionnelle et, d’autre part, qu’elles s’opposent à ce que ladite commission ne soit pas dotée d’un pouvoir contraignant. Le Tribunal rejette ce grief car, même en considérant que les modalités de recours devant la commission de contrôle ne satisfassent pas aux exigences du recours effectif et du procès équitable, cela n’exclut pas qu’un recours puisse être introduit devant le juge de l’Union, ce qui constitue une voie de droit ouverte aux requérantes.
Dans le cadre du troisième grief, les requérantes font valoir, entre autres, un refus persistant du Conseil, de la Commission et du SEAE de doter la mission Eulex Kosovo de ressources et de personnel adéquats. À cet égard, le Tribunal n’est pas compétent pour statuer sur un recours en responsabilité résultant de la prétendue insuffisance des ressources d’Eulex Kosovo, dans la mesure où les décisions prises en la matière se rattachent directement aux choix politiques ou stratégiques effectués dans le cadre de la PESC. En ce qui concerne le caractère adéquat du personnel de la mission, les prétendus manquements commis dans la gestion quotidienne de cette mission ne sauraient être imputés au Conseil, à la Commission et au SEAE, en ce qu’ils relèvent de l’exercice du mandat exécutif de cette mission et engagent donc sa responsabilité exclusive.
Le quatrième grief est tiré d’un détournement ou d’un abus du pouvoir exécutif commis par le Conseil et le SEAE, lorsqu’ils ont affirmé que la mission Eulex Kosovo avait fait de son mieux pour enquêter sur les affaires en question et lorsqu’ils ont rappelé que la commission de contrôle n’est pas une instance de nature judiciaire. En raison du manque de précision de ce grief, le Tribunal l’a aussi rejeté comme irrecevable et manifestement dépourvu de tout fondement en droit.
Finalement, dans le cadre du cinquième grief, il est reproché au Conseil, à la Commission et au SEAE d’avoir commis un détournement ou un abus de pouvoir en lien avec le manque de suivi dans l’affaire de KD. En constatant que le cinquième grief correspond, en substance, aux allégations soulevées dans le cadre du troisième grief, le cinquième grief est aussi rejeté comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit.
En conclusion, le rejet du recours pour les raisons présentées ci-dessus n’a pas permis au Tribunal de se pencher sur l’examen substantiel de l’affaire. Toutefois, le dernier acte de cette saga, qui a vu impliquées plusieurs instances sur le plan national, européen et international, ajoute un nouvel échelon dans l’échiquier très complexe relatif à l’établissement de la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre de la PESC.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Sara Notario, Affaire KS et KD : Le Tribunal rejette le recours en indemnité pour préjudice subi dans le cadre d’une mission civile, actualité n° 33/2025, publiée le 14 octobre 2025, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch;