En juillet 2014, l’Union européenne a adopté des mesures restrictives en réponse à l’agression armée de l’Ukraine par la Russie interdisant, parmi d’autres, l’exportation, la vente, la fourniture et le transfert des billets de banque libellés en euro ou dans une autre monnaie officielle d’un Etat membre vers la Russie (règlement (UE) nº 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1). Dans l’affaire Generalstaatsanwaltschaft Frankfurt am Main (Exportation d’argent liquide en Russie) (C-246/24), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation de ces mesures restrictives concernant l’exportation de billets de banque libellés en euros de la Russie, y compris lorsque ceux-ci sont visés à financer des traitements médicaux dans ce pays.
Cette affaire s’insère dans le contexte d’une procédure pénale devant le l’Oberlandesgericht Frankfurt am Main (tribunal régional supérieur de Francfort-sur-le-Main, Allemagne) intentée contre ZZ. Lors d’un contrôle à la douane de l’aéroport de Francfort sur le Main, ZZ, en voyageant vers la Russie, menait avec elle presque 15 000 € en billets afin de couvrir les frais de voyage, ainsi que des traitements médicaux en Russie. Les agents douaniers ont saisi la somme d’argent liquide, à l’exception de 1 000 € pour la couverture des frais de son voyage. La juridiction allemande compétente dans la procédure pénale à l’encontre de ZZ a saisi à titre préjudiciel la Cour de justice de l’Union européenne afin de savoir si l’interdiction d’exportation s’applique à la couverture de frais médicaux tels que ceux en l’espèce. Plus spécifiquement, la question préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5 decies, paragraphe 2, sous a), du règlement (UE) nº 833/2014 du Conseil, qui prévoit que cette interdiction ne s’applique pas aux sommes nécessaires à l’usage personnel du voyageur.
La Cour de justice a opéré à une interprétation littérale de la disposition en question. D’abord, les termes « usage personnel » dans la disposition précitée « doivent être déterminés conformément au sens habituel de ces termes dans le langage courant [voir, par analogie, arrêt du 5 février 2020, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Enrôlement des marins dans le port de Rotterdam), C‑341/18, point 42 et jurisprudence citée]. » L’interprétation donnée à ces termes se réfère donc à une utilisation finalisée à satisfaire des besoins personnels, par opposition à des fins professionnels ou autres. En ce qui concerne le terme « nécessaire », qui figure aussi à l’article 1er du règlement en question, la Cour considère qu’il fait référence à l’exportation « indispensable pour répondre à de tels besoins ».
Ensuite, la Cour a procédé à une interprétation systémique de la même disposition en relevant que, s’agissant d’une exception à l’interdiction d’exportation, elle doit être interprétée de manière restrictive afin de ne pas vider de sa substance la règle générale (arrêt du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem), C‑435/22 PPU, point 120). Par conséquent, cette disposition doit être interprétée en ce sens qu’elle vise uniquement les frais occasionnés pour le voyage et le séjour vers la Russie du voyageur et des proches qui l’accompagnent.
Finalement, selon une interprétation téléologique, la Cour de justice considère que le but d’une telle interdiction vise à éviter que le système économique russe puisse bénéficier de l’argent liquide libellé en euro ou dans la monnaie d’un Etat membre pour financer le coût des actions en Ukraine menées par la Russie. Or, l’exportation de tels billets afin de financer des traitements médicaux, tels que ceux en cause au principal, ne relève pas de l’exception prévue par le règlement concernant des frais occasionnés de voyage car des traitements médicaux ne visent pas à satisfaire des besoins personnels occasionnés lors du voyage.
En maintenant une interprétation stricte de l’exception en cause, l’approche de la Cour de justice dans cette affaire contribue à ne pas empiéter sur l’efficacité des mesures restrictives adoptées par le Conseil à la lumière de la situation en Ukraine, même lorsque celles-ci prévoient une portée considérablement large.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Sara Notario, Interdiction d’exporter de l’argent liquide pour financer des traitements médicaux, actualité n° 15/2025, publiée le 22 mai 2025, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch;