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Contrôle juridictionnel des actes de procédure du Parquet européen devant les juridictions nationales compétentes

Sara Notario , 10 avril 2025

Dans l’affaire Parquet européen (Contrôle juridictionnel des actes de procédure) (C-292/23), la Cour de justice, saisie d’une requête de décision préjudicielle en vertu de l’article 267 TFUE, a statué sur la possibilité pour les cours nationales d’exercer un contrôle juridictionnel sur les actes de procédure du Parquet européen susceptibles d’affecter la situation juridique des personnes les contestant.

Le Parquet européen est un organe indépendant de l’Union européenne qui, en vertu de l’article 4 du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil, du 12 octobre 2017, mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (JO 2017, L 283, p. 1), est compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne. Il opère selon une structure à double niveaux : le niveau central consiste dans le Bureau central composé du collège, des chambres permanentes, du chef du Parquet européen, des adjoints au chef, des procureurs européens et du directeur administratif, tandis que le niveau décentralisé est constitué par les procureurs européens délégués affectés dans les Etats membres et agissant au nom du Parquet européen.

I.R.O. et F.J.L.R., directeurs d’une société espagnole, ont fait l’objet d’une enquête pénale engagée par les procureurs européens délégués chargés de l’affaire en Espagne pour fraude aux subventions de l’Union européenne qu’ils avaient obtenues pour financer un projet. Dans le cadre de cette enquête, les procureurs européens, par une décision du 2 février 2023, ont cité Y.C. et I.M.B. en tant que témoins. Les représentants légaux de I.R.O. et F.J.L.R. ont introduit un recours, qui est à l’origine du présent renvoi préjudiciel, contre cette décision en faisant valoir que Y.C. avait déjà été entendu au préalable devant le tribunal de première instance no 1 de Getafe (Espagne). Le tribunal d’instruction au niveau national no 6 de Madrid, qui intervient en l’espèce en tant que juge des garanties, a décidé de surseoir à statuer et a posé à la Cour de justice une demande de décision préjudicielle concernant sa compétence pour contrôler certains actes de procédure du Parquet européen destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers, tels que la citation à comparaître de témoins, à la lumière du droit de l’Union européenne.

En particulier, les articles 42 et 43 de la Ley Orgánica 9/2021, de aplicación del Reglamento (UE) 2017/1939 (loi organique 9/2021, portant application du règlement (UE) 2017/1939), lus en combinaison avec l’article 90 de la même loi, prévoient que le contrôle juridictionnel des actes de procédure du Parquet européen n’est possible que pour les actes expressément mentionnés par cette loi. La citation à comparaître en qualité de témoin ne figurant pas parmi ces actes, il n’existerait pas de recours devant le juge des garanties contre la décision du 2 février 2023 susmentionnée. Toutefois, l’article 42, paragraphe 1, du règlement (UE) 2017/1939 prévoit que le contrôle juridictionnel s’applique aux actes de procédure du Parquet européen destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers.

La Cour de justice est donc appelée à juger si les dispositions pertinentes (article 42, paragraphe 1, du règlement 2017/1939, article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux) ainsi que les principes d’équivalence et d’effectivité doivent être interprétées en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui empêcherait aux personnes faisant l’objet d’une enquête du Parquet européen de contester devant la juridiction nationale une décision du procureur européen délégué citant des témoins à comparaître.

D’abord, la Cour de justice a vérifié si une telle décision relève de la notion d’« actes de procédure du Parquet européen qui sont destinés à produire des effets juridiques à l’égard de tiers », au sens de l’article 42 du règlement 2017/1939. Comme l’a relevé M. l’avocat général dans ses conclusions, la répartition des compétences entre les juridictions nationales et les juridictions de l’Union européenne, en vertu de l’article 42 du règlement 2017/1939, garantit que les « actes de procédure » sont contrôlés par les juridictions nationales et que les décisions relatives à la protection des données personnelles et les « décisions administratives » relèvent du champ d’application de l’article 263 TFUE. Par conséquent, la notion d’« actes de procédure du Parquet européen qui sont destinés à produire des effets juridiques à l’égard de tiers », au sens de l’article 42, paragraphe 1, du règlement 2017/1939, « constitue une notion autonome du droit de l’Union qui doit être interprétée sur la base de critères uniformes. » Sur la base de cette appréciation, la Cour de justice a établi que la décision du Parquet européen de citer à comparaître des témoins relève de la notion d’« actes de procédure du Parquet européen qui sont destinés à produire des effets juridiques à l’égard de tiers ».

Le contrôle de ces actes contribue à garantir « le respect, par le Parquet européen, des droits fondamentaux des personnes à l’égard desquelles ces actes de procédure produisent de tels effets, et, notamment, de contrôler le respect, par cet organe, du caractère équitable de la procédure et des droits de la défense des suspects et des personnes poursuivies, conformément aux articles 47 et 48 de la Charte. » Ce contrôle inclut tant le respect des droits procéduraux des suspects et des personnes poursuivies que « de tous les droits procéduraux accordés par le droit interne applicable à ces personnes ainsi qu’aux autres personnes concernées par les procédures du Parquet européen. » Par conséquent, les juridictions nationales sont compétentes pour contrôler les effets d’une décision de citer à comparaître des témoins sur les droits des personnes faisant l’objet d’une enquête.

Toutefois, la Cour de justice a précisé que ce contrôle juridictionnel au niveau national ne doit pas forcément s’effectuer dans le cadre d’un recours direct contre la même décision, du moment que le règlement prévoit uniquement que le contrôle en cause est exercé « conformément aux exigences et procédures prévues par le droit national ». Bien que le contrôle de ces actes puisse être effectué de manière incidente, cela doit tout de même œuvrer au plein respect des articles 47 et 48 de la Charte. En vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’autonomie procédurale des Etats membres, il revient donc à la juridiction nationale de garantir un droit de recours effectif et vérifier que les preuves sur lesquelles l’acte concerné se fonde n'ont pas été obtenues/utilisées en violation des droits garantis par le droit de l’Union européenne (État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale), C‑245/19 et C‑246/19).

En conclusion, la décision du procureur européen délégué citant des témoins à comparaître est soumise au contrôle juridictionnel des cours nationales compétentes, lorsque cette décision vise à produire des effets juridiques obligatoires susceptibles d’affecter les intérêts des personnes contestant la décision, en vertu de l’article 42, paragraphe 1, du règlement 2017/1939.

Dans cet arrêt, la Cour de justice œuvre à englober sous le chapeau de la compétence des juridictions nationales, en tant que « juges de droit commun » (Avis 1/09), le contrôle, même à titre incident, d’actes de procédure d’un organe indépendant de l’Union européenne, à la lumière des principes d’équivalence et d’effectivité et de protection juridictionnelle effective.

Reproduction autorisée avec la référence suivante : Sara Notario, Contrôle juridictionnel des actes de procédure du Parquet européen devant les juridictions nationales compétentes, actualité n° 12/2025, publiée le 10 avril 2025, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch;