Dans son arrêt du 20 mars 2025, aff. OP, C-763/22, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur un conflit entre un mandat d’arrêt européen et une demande d’extradition présentée par un État tiers à l’encontre de la même personne. L’affaire au principal concernait un ressortissant français poursuivi pour avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de commettre des délits en lien avec la contrefaçon ou la falsification de cartes de paiement en France. Ce ressortissant a été incarcéré en Espagne dans le cadre de l’exécution d’une demande d’extradition émise par les autorités suisses. En parallèle, à la suite de sa demande de pouvoir comparaître à son procès en France, une juridiction française a décidé d’émettre un mandat d’arrêt européen à son égard, conformément à la décision-cadre 2002/584 du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres. Néanmoins, le Conseil des ministres espagnol avait décidé de donner priorité à la demande d’extradition émise par les autorités suisses. Cette décision a été prise sur la base de la loi nationale espagnole prévoyant qu’en cas de concours entre un mandat d’arrêt européen et une demande d’extradition présentée par un État tiers, la décision sur la priorité relève du Conseil des ministres, sans recours juridictionnel possible contre celle-ci. Dans ce contexte, la juridiction française qui a émis le mandat d’arrêt européen s'est interrogée sur la comptabilité de la législation espagnole avec la décision-cadre 2002/584 et a décidé de saisir la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel.
Dans la mesure où la demande de décision préjudicielle portait sur la compatibilité d’une règle espagnole avec la décision-cadre, alors qu’elle émanait d’une juridiction française, la Cour de justice devait d’abord s’assurer de sa recevabilité. A cet égard, la Cour a rappelé sa jurisprudence constante, selon laquelle elle refuse de statuer sur une demande préjudicielle lorsque le problème soulevé par la juridiction de renvoi est de nature hypothétique. Néanmoins, la Cour de justice a admis que dans le cadre du système de coopération instauré par la décision-cadre 2002/584, la juridiction de l’État membre d’émission peut avoir besoin d’éclaircissements quant à la compatibilité, avec le droit de l’Union européenne, des conditions d’exécution d’un mandat d’arrêt européen dans l’État membre d’exécution. Tel est le cas, en particulier, lorsque, comme en l’espèce, l’interprétation sollicitée de cette décision-cadre permet à la juridiction de renvoi concernée de déterminer la manière dont il convient d’émettre ou de retirer un mandat d’arrêt européen lorsque l’exécution d’un mandat d’arrêt antérieur a été refusée.
Après avoir déclaré la demande de décision préjudicielle recevable, la Cour de justice a examiné le libellé de l’article 16, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584. Cette disposition prévoit qu’en cas de conflit entre un mandat d’arrêt européen et une demande d’extradition, la décision sur la priorité à donner à l’un ou l’autre est prise par l’« autorité compétente » de l’État membre d’exécution. En revanche, en cas de concours entre mandats d’arrêt européens émis par plusieurs États membres à l’encontre de la même personne, le paragraphe 1 dudit article 16 confère à l’« autorité judiciaire d’exécution » la compétence pour décider lequel de ces mandats doit être exécuté. Pour la Cour, la notion d’« autorité compétente » est l’expression de la marge de manœuvre laissée aux États membres qui peut inclure des considérations non exclusivement judiciaires. Il en résulte que cette notion peut recouvrir toute autorité nationale, y compris un organe du pouvoir exécutif.
Toutefois, la Cour a considéré que le droit de l’Union européenne s’oppose à ce que la décision de l’autorité compétente en question ne puisse faire l’objet d’un recours juridictionnel. A cet égard, elle a rappelé qu’en vertu de son article 1er, paragraphe 3, la décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux, y compris le droit à un recours juridictionnel effectif garanti à l’article 47 de la Charte des droit fondamentaux. Or, cette dernière disposition implique que ce contrôle intervienne avant l’exécution du mandat d’arrêt européen ou de la demande d’extradition et exige que la personne concernée puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée une décision prise à son égard. Cela étant, en l’absence de précisions dans la décision-cadre quant aux modalités procédurales entourant la décision sur la priorité, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre, en vertu du principe d’autonomie procédurale, de régler les modalités procédurales de ce recours.
Pas son arrêt, la Cour de justice distingue la notion de l’ « autorité judicaire », compétente pour trancher en cas de concours entre plusieurs mandats d’arrêt européens, de celle de l’« autorité compétente », chargée de statuer en cas de conflit entre un mandat d’arrêt européen et une demande d'extradition d’un État tiers. Cette distinction, entérinée par le législateur de l’Union, se justifie par des spécificités des procédures d’extradition qui diffèrent fondamentalement du système de remise institué par la décision-cadre 2002/584. En effet, les procédures d’extradition, régies notamment par des accords internationaux, reposent sur le principe de réciprocité entre États concernés et impliquent des considérations politiques et diplomatiques. En revanche, la décision-cadre 2002/584 vise à remplacer le système d’extradition multilatéral entre États membres par un système de remise entre autorités judiciaires fondé sur le principe de reconnaissance mutuelle. Néanmoins, si les États membres disposent d’une large marge de manœuvre pour désigner l’« autorité compétente », au sens de l’article 16, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584, ils ne sauraient se soustraire au respect des droits fondamentaux, y compris le droit à un recours juridictionnel effectif consacré par l’article 47 de la Charte.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Mateusz Miłek, Conflit entre un mandat d’arrêt européen et une demande d’extradition émanant d’un État tiers, actualité n° 10/2025, publiée le 31 mars 2025, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch