Dans l’affaire Asociația Inițiativa pentru Justiție (T‑1126/23), le Tribunal de l’Union européenne a rejeté le recours en annulation introduit par une association de procureurs roumaine en confirmant les strictes conditions de recevabilité d’un tel recours prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
Dans le cadre du processus d’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne, la Commission européenne pouvait adopter des mesures en cas de risque imminent de dysfonctionnement grave du marché intérieur dû au non-respect, par la Roumanie, des engagements pris dans le cadre des négociations d’adhésion et de risque imminent de manquements graves relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice (articles 37 et 38 de l’acte d’adhésion à l’UE de la République de Bulgarie et de la Roumanie). Ayant constaté des défaillances persistantes dans les domaines de la justice et de la lutte contre la corruption en Roumanie, la Commission avait proposé au Conseil de subordonner l’adhésion de cet État à un mécanisme de coopération et de vérification (ci- après, « MCV ») (décision 2006/928 établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption). Estimant que l’État membre concerné a bien respecté les engagements pris au moment de son adhésion, la Commission a toutefois décidé en 2023 d’abroger la décision prévoyant de telles mesures par l’adoption de la décision (UE) 2023/1786 de la Commission du 15 septembre 2023 (ci-après, « décision attaquée »).
L’Asociația Inițiativa pentru Justiție, une organisation représentative de procureurs roumaine, a introduit un recours en annulation, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, à l’encontre de cette dernière décision. En ne se penchant pas sur la substance de l’affaire, le Tribunal a décidé de donner suite à la demande de la Commission de statuer sur l’irrecevabilité du recours, tel que prévu à l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure.
La Commission a soulevé l’irrecevabilité du recours au motif que ni la requérante ni l’un de ses membres n’est affecté directement par la décision attaquée. Ensuite, au sens de la Commission, la décision ne constitue pas un acte réglementaire et la requérante n’est pas individuellement concernée par la décision en question. Pour sa part, la requérante a invité le Tribunal à assouplir, à la lumière des particularités du cas d’espèce, les conditions de recevabilité du présent recours.
En vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former un recours contre les actes dont elle est la destinataire ou qui la concernent directement et individuellement ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution. Or, le Tribunal a considéré que la requérante n’est pas la destinataire de la décision attaquée.
Concernant l’affectation individuelle, selon une jurisprudence constante, les associations peuvent introduire des recours en annulation dans trois cas : lorsque des dispositions prévoient l’octroi à de telles associations les facultés procédurales nécessaires à cette fin ; lorsque l’association représente les intérêts des membres qui seraient eux-mêmes recevables à agir ; lorsque les intérêts propres à l’association sont affectés (T-330/18, pt 51). Le Tribunal a établi que l’association en cause ne tombe dans le champ d’aucune des situations susmentionnées. En particulier, concernant la deuxième condition, le Tribunal a jugé que les mesures adoptées par la Commission n’ont conféré aucun droit aux membres de l’association. D’ailleurs, le fait que la Cour ait déjà reconnu, comme ayant effet direct, les objectifs de référence fixés dans le cadre du MCV pour faire face aux défaillances dans le système judiciaire roumain (cf. C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, pt 170) n’a pas d’incidence sur la présente affaire, compte tenu des circonstances du cas d’espèce.
Concernant l’assouplissement des conditions de recevabilité du recours en annulation, demandé par la requérante, il est intéressant de noter que cette dernière s’est appuyée sur l’arrêt de la CourEDH du 9 avril 2024, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse. Dans cette affaire, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré recevable un recours introduit par une association créée dans le but de protéger le climat, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, CEDH. D’après un raisonnement a simili, selon lequel les objectifs liés à la protection de l’État de droit, que la requérante poursuit en l’espèce, seraient comparables à ceux liés à la protection du climat, cet arrêt devrait s’appliquer mutatis mutandis. Cela s’appuierait aussi sur le contexte actuel d’adhésion de l’UE à la CEDH.
En rappelant une jurisprudence bien consolidée, le Tribunal a écarté cet argument et a relevé que si, d’une part, les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE doivent être interprétées à la lumière du droit à une protection juridictionnelle effective, d’autre part, cette interprétation ne peut pas écarter les conditions prévues par la lettre des Traités (C-583/11 P, pt 98 ; C-456/13 P, pt 44). Tant que l’Union n’y a pas adhéré, la CEDH ne constitue pas un « instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union ». D’ailleurs, bien qu’une cohérence doit être trouvée entre la Charte des droits fondamentaux de l’Union et la CEDH, cela ne peut pas porter atteinte à l’autonomie du droit de l’Union européenne ni à celle de la Cour de justice de l’Union (C-790/19, pt 75). En effet, assouplir les conditions, tel que le demande la requérante, équivaudrait à écarter la condition d’affectation directe prévue expressément dans les Traités. De plus, le contrôle juridictionnel au sein du système de l’Union est assuré par la Cour de justice de l’Union européenne, ainsi que par les juridictions des États membres, devant lesquelles les justiciables peuvent contester les actes nationaux relatifs à l’application d’un acte de l’Union de portée générale. Le mécanisme de renvoi préjudiciel en appréciation de validité vient, en effet, compléter le système « complet » de voies de recours, dont jouissent également les personnes qui ne satisfont pas les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Il revient donc aux États membres, en vertu des articles 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et 47 de la Charte, de prévoir des voies de recours au niveau national à cet égard.
En conclusion, le Tribunal a accueilli l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission et a rejeté le recours.
Cette affaire confirme l’approche adoptée par la Cour de justice concernant les conditions de recevabilité des recours en annulation en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Bien que cette question fasse encore l’objet d’une vaste jurisprudence ainsi que de riches débats (voir, entre autres, ici et ici), l’approche de la CJUE permet aussi de mettre en exergue le rôle des juridictions des États membres en tant que « juges de droit commun » (Avis 1/09, pt 70) et garants, avec la CJUE, d’une protection juridictionnelle effective dans l’espace juridique européen.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Sara Notario, Le locus standi d’une association de procureurs : tentative d’assouplissement des conditions de recevabilité du recours en annulation, actualité n° 5/2025, publiée le 27 février 2025, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch;