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Le programme Erasmus + et le calcul de la fiscalité directe dans les États membres de l’Union européenne

Sara Notario , 28 janvier 2025

Le programme Erasmus , fondé sur les articles 165 et 166 TFUE, vise à promouvoir la mobilité des étudiants au sein de l’Union européenne. Pour surmonter les difficultés économiques que cette mobilité pourrait engendrer, les étudiants disposent d’un soutien financier apporté à travers des bourses relevant des fonds de l’Union européenne. Dans l’affaire Ministarstvo financija (Bourse Erasmus ) (C-277/23), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la prise en compte d’une bourse Erasmus par l’administration fiscale d’un État membre dans le calcul de la déduction applicable à l’impôt sur le revenu.

L’affaire s’insère dans le cadre d’un litige opposant, E.P., le parent ayant à sa charge l’étudiant destinataire de la bourse Erasmus , d’une part, et le service autonome en charge de la procédure administrative de second niveau du ministère des Finances croate, d’autre part. En vertu du droit croate, E.P. a bénéficié de certains avantages fiscaux, tels qu’une majoration de la déduction de base pour une personne ayant un enfant à charge. Compte tenu du fait que l’enfant avait perçu une bourse Erasmus pour un séjour d’études en Finlande d’un montant de 1 840€ et que ce montant dépassait le seuil visé par le droit national concernant les avantages fiscaux, l’administration fiscale a informé la requérante que la majoration de la déduction dont elle avait bénéficié avait été supprimée pour la période correspondante au départ de son enfant à l’étranger. E.P. a introduit une réclamation contre cet avis, en considérant que la bourse Erasmus constitue une « aide sociale » et qu’elle ne devait pas être prise en compte dans le calcul du droit à la majoration de la déduction de base pour enfants à charge. L’administration fiscale ayant rejeté cette réclamation, E.P. a introduit un recours auprès du tribunal administratif d’Osijek et, ensuite, auprès de la cour administrative d’appel. Cette dernière ayant également rejeté sa requête, E.P. a formé un recours contre cet arrêt devant la Cour constitutionnelle croate en s’appuyant sur les articles 18, 20 et 21 TFUE. L’article 18 TFUE interdit toute discrimination en raison de la nationalité ; l’article 20 TFUE confère à toute personne ayant la nationalité d’un État membre le statut de citoyen de l’Union européenne qui, en ayant exercé sa liberté de circuler et de séjourner dans un État membre autre que son État d’origine, peut se prévaloir des droits afférents à cette qualité prévus à l’article 21, paragraphe 1, TFUE, y compris la liberté de circuler au sein du territoire de l’Union (Direcţia pentru Evidenţa Persoanelor şi Administrarea Bazelor de Date, C‑491/21).

Dans ce cadre, la Cour constitutionnelle croate a posé des questions préjudicielles à la CJUE pour savoir si le droit de l’Union européenne est applicable en l’espèce et, plus précisément, si la législation nationale en cause est compatible avec le droit primaire de l’UE (articles 18, 20, 21, et 165, paragraphe 2, deuxième tiret, TFUE) ainsi qu’avec l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

Concernant l’application de l’article 67 du règlement n° 883/2004, la Cour de justice a jugé qu’il n’est pas applicable. En effet, la mesure fiscale dont E.P. a bénéficié constitue un avantage fiscal, et non pas une « prestation familiale » au sens du règlement.

Dans le cas d’espèce, l’enfant de la requérante s’est rendu dans un État membre ayant des coûts de vie plus élevés par rapport à son pays d’origine. Par conséquent, la question préjudicielle porte plutôt sur le fait de savoir si le traitement fiscal de E.P. constitue une restriction non justifiée à la libre circulation des étudiants, en vertu des articles 20 et 21 TFUE, lus à la lumière de l’article 165, paragraphe 2, deuxième tiret, TFUE.

La Cour de justice a aussi rappelé que, bien que la fiscalité directe demeure une compétence des États membres, une imposition sur des revenus financés par des fonds de l’Union européenne doit se faire dans le respect du droit de l’Union (Schempp, C-403/03). Un État membre participant au programme Erasmus doit donc veiller à ce que l’imposition des bourses de ce programme ne constitue pas une restriction injustifiée au droit de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres. En l’espèce, les dispositions de droit croate permettant l’imposition des bourses Erasmus ont un effet dissuasif pour les ressortissants de ce pays à exercer leurs libertés, en vertu de l’article 21 TFUE. Ce raisonnement s’applique même aux citoyens n’ayant pas exercé eux-mêmes ces libertés, spécialement à la lumière des liens économiques unissant l’enfant à son parent.

D’ailleurs, une telle restriction au droit de l’Union européenne ne peut être justifiée que si elle est fondée « sur des considérations objectives d’intérêt général, indépendantes de la nationalité des personnes concernées, et si elle est proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national » (Direcţia pentru Evidenţa Persoanelor şi Administrarea Bazelor de Date, C‑491/21). La Cour de justice a considéré que la réglementation nationale en cause poursuit l’objectif de lutter contre les inégalités sociales et matérielles entre les contribuables ayant des enfants à charge et ceux qui ne supportent pas de telles dépenses, ce qui doit être considéré comme un objectif d’intérêt général. Toutefois, concernant le respect du principe de proportionnalité, le traitement fiscal des aides à la mobilité Erasmus risque de conduire à des charges fiscales plus lourdes pour les parents ayant des enfants bénéficiant de ces aides.

La Cour de justice a conclu que les articles 20 et 21 TFUE, lus à la lumière de l’article 165 TFUE, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la réglementation d’un État membre prenant en compte les bourses Erasmus dans le calcul de la déduction de base pour les personnes ayant des enfants à leur charge.

L’approche de la Cour dans cet arrêt consolide la nécessité pour les États membres de prendre en compte le droit de l’Union européenne, même dans des situations concernant un domaine relevant de la compétence des États membres, tel que la fiscalité directe.

Reproduction autorisée avec la référence suivante : Sara Notario, Le programme Erasmus et le calcul de la fiscalité directe dans les États membres de l’Union européenne, actualité n° 2/2025, publiée le 28 janvier 2025, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch;