La convention pour la protection des œuvres littéraires et artistiques de 1886 (« convention de Berne ») est le principal instrument du droit international en matière du droit d’auteur. Contrairement à ses Etats membres, l’Union européenne n’est pas partie à cette convention. La convention de Berne dispose que les auteurs ressortissants des pays signataires jouissent, dans les autres pays signataires, en principe, des mêmes droits que les auteurs nationaux. Cependant, le principe du traitement national connaît quelques exceptions. L’une d’elles figure à l’article 2, paragraphe 7, de cette convention, qui prévoit une clause de réciprocité matérielle. Selon cette clause, les œuvres des arts appliqués originaires des pays dans lesquels de telles œuvres sont protégées uniquement en tant que dessins ou modèles ne peuvent prétendre, dans les autres pays signataires, au cumul de cette protection avec la protection par le droit d’auteur.
En revanche, le droit de l’Union européenne, tel qu’il découle de la directive 2001/29/CE sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, accorde aux œuvres des arts appliqués une protection au titre du droit d’auteur, même si elles bénéficient également d’un régime de protection spéciale en tant que dessins ou modèles. La relation entre la convention de Berne et le droit de l’Union a été clarifiée par la Cour de justice dans son arrêt du 24 octobre 2024, aff. C-227/23 Kwantum.
L’affaire au principal concerne Vitra, une société de droit suisse fabriquant des meubles qui est titulaire de droits de propriété intellectuelle sur une chaise « Dining Sidechair Wood », conçue par les époux, Charles et Ray Eames, citoyens des États-Unis d’Amérique. Dans le courant de l’année 2014, Vitra a constaté que Kwantum, une société de droit néerlandais exploitant une chaîne de magasin du mobilier, mettait en vente et commercialisait aux Pays-Bas et en Belgique une chaise, dénommée « chaise Paris », dont la forme violait prétendument ses droits d’auteur sur la chaise « Dining Sidechair Wood ». Vitra a ensuite saisi les juridictions néerlandaises, afin de faire cesser cette commercialisation. Or, la clause de réciprocité de l’actuel article 2, paragraphe 7, de la convention de Berne est entrée en vigueur en Belgique le 1er août 1951. Dans ce contexte, la Cour suprême des Pays-Bas a saisi la Cour de justice de questions préjudicielles concernant la protection, en vertu du droit de l’Union européenne, qu’une œuvre des arts appliqués originaire d’un pays tiers peut obtenir au sein de l’Union, lorsque son auteur n’est pas ressortissant d’un État membre.
Dans un premier temps, la Cour de justice a constaté que le champ d’application de la directive 2001/29 est défini non pas selon le critère du pays d’origine de l’œuvre ou de la nationalité de son auteur, mais par référence au marché intérieur, qui équivaut au champ d’application territorial des traités, énoncé à l’article 52 TUE. Ainsi, pour autant qu’un objet des arts appliqués tel que la chaise « Dining Sidechair Wood » en cause au principal puisse être qualifié d’« œuvre », au sens de cette directive, et qu’il soit commercialisé dans un Etat membre, cet objet bénéficie d’une protection au titre du droit d’auteur indépendamment de son pays d’origine ou à la nationalité de son auteur. Au titre de l’article 2, sous a), et l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29, cette protection inclut les droits exclusifs de reproduction et de distribution de cette œuvre.
Dans un second temps, la Cour de justice s’est penchée sur la question de savoir si le droit de l’Union s’opposait à ce que les États membres appliquent, en droit national, le critère de réciprocité matérielle prévu à l’article 2, paragraphe 7, de la convention de Berne. A cet égard, la Cour a indiqué que l’application par un État membre de ce critère de réciprocité matérielle serait non seulement contraire au libellé des dispositions de la directive 2001/29, mais remettrait également en cause l’objectif de cette directive, consistant en l’harmonisation du droit d’auteur dans le marché intérieur. Pour la Cour, cet objectif serait compromis si les œuvres des arts appliqués originaires de pays tiers pouvaient être traitées de manière différente dans différents États membres, en vertu de dispositions de droit conventionnel applicables de manière bilatérale entre un État membre et un pays tiers.
La Cour a toutefois remarqué que la convention de Berne revêt les caractéristiques d’une convention internationale au sens de l’article 351, premier alinéa, TFUE. Selon cette dernière disposition, les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions des traités. La Cour a néanmoins rappelé sa jurisprudence antérieure selon laquelle lorsqu’une convention internationale qui a été conclue par un État membre antérieurement à son adhésion à l’Union lui permet de prendre une mesure qui apparaît contraire au droit de l’Union, sans toutefois l’y obliger, l’État membre doit s’abstenir d’adopter une telle mesure. Or, il ne ressort pas de l’article 2, paragraphe 7, de la convention de Berne que celle-ci interdit à un État partie à cette convention de protéger par le droit d’auteur une œuvre des arts appliqués qui, dans le pays d’origine de cette œuvre, n’est protégée qu’en vertu d’un régime spécial en tant que dessin ou modèle. Dans ces conditions, la Cour a conclu que l’article 351, premier alinéa, TFUE ne permet pas à un Etat membre de se prévaloir de l’article 2, paragraphe 7, de la convention de Berne pour s’exonérer des obligations découlant de la directive 2001/29.
Par son arrêt, la Cour de justice confirme que le droit de l’Union européenne prévaut, en principe, sur l’ensemble du droit national, y compris les mesures nationales prises en application de conventions internationales conclues par les Etats membres, telle que la convention de Berne en l’espèce. Si l’article 351, alinéa premier, TFUE permet de déroger à ce principe (aff. C-516/22, Commission/Royaume-Uni), cette dérogation ne peut trouver à s’appliquer que dans les hypothèses strictement limitées. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, l’article 351, premier alinéa, TFUE vise uniquement à préciser que, conformément aux principes de droit international, l’application des traités fondateurs n’affecte pas les engagements internationaux contractés par les États membres avant leur adhésion à l’Union (aff. 812/79 Burgoa). La Cour a eu déjà l’occasion de clarifier que les termes « droits et obligations », mentionnés dans cette disposion, renvoient, en ce qui concerne les « droits », aux droits des États tiers et, en ce qui concerne les « obligations », aux obligations des États membres (aff. 10/61 Commission/Italie). Ainsi, comme l’illustre la présente affaire, lorsqu’un État membre adopte une mesure en vertu d’une faculté offerte par une convention internationale antérieure, cet État ne saurait invoquer ladite convention pour se soustraire à ses obligations découlant du droit de l’Union.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Mateusz Miłek, Convention de Berne et droit de l’Union européenne, actualité n° 31/2024, publiée le 27 novembre 2024, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch