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Transfert partiel de la compétence préjudicielle au Tribunal de l’Union européenne

Sara Notario , 12 septembre 2024

Le 12 août 2024, le règlement 2024/2019 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 modifiant le protocole n° 3 sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne a été publié dans le Journal Officiel, assorti des modifications du règlement de procédure de la Cour de justice (2024/2094), des modifications du règlement de procédure du Tribunal (2024/2095) ainsi que des dispositions pratiques d’exécution du règlement de procédure du Tribunal (2024/2097).

Dans le but de garantir une efficacité procédurale au sein de l’architecture juridictionnelle de l’Union européenne, ce règlement permettra au Tribunal de l’Union européenne de connaître, à partir du 1er octobre 2024, des questions préjudicielles dans six domaines spécifiques : le système commun de la TVA, le code des douanes, le classement tarifaire des marchandises, les droits d’accise, l’indemnisation et l’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement, de retard ou d’annulation de services de transport et le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (article 50ter du statut, tel que modifié).

Au niveau opérationnel, la Cour de justice restera la première destinataire de toute question préjudicielle introduite par les juridictions nationales (mécanisme du « guichet unique ») et transmettra au Tribunal, doté de deux juges par État membre depuis 2019 (voir règlement 2015/2422 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 modifiant le protocole n° 3 sur le statut de la Cour de justice de l'Union européenne), les questions préjudicielles dans les six domaines susmentionnés. La sélection des questions préjudicielles aptes à être transférées au Tribunal demeurera donc une compétence exclusive de la Cour de justice. Dans cette sélection, la Cour prendra en compte les demandes de décision préjudicielle qui relèvent de matières « clairement circonscrites et suffisamment détachables d’autres matières » ayant fait l’objet d’un « important corpus de jurisprudence de la Cour de justice, susceptible de guider le Tribunal dans l’exercice de sa compétence préjudicielle » (alinéa 6, préambule du règlement). Résultat de cette modification statutaire, la Cour de justice ainsi que le Tribunal exposeront dorénavant les raisons de leur compétence pour connaître la question préjudicielle en cause dans leurs décisions préjudicielles.

Une nouveauté ultérieure introduite par le règlement est le fait que le Tribunal pourra être assisté, sur la base d’un modèle similaire actuellement en place au sein de la Cour de justice, par des avocats généraux. Les juges du Tribunal devraient donc élire parmi eux les membres appelés à exercer les fonctions d’avocat général pour une période de trois ans, renouvelable, au cours de laquelle ils ne devraient pas siéger en qualité de juges dans les affaires relevant de l’article 267 TFUE. Dans un souci d’indépendance de ces membres, l’avocat général désigné pour traiter une demande de décision préjudicielle devrait appartenir à une chambre autre que celle saisie de cette demande.

La modification du statut de la Cour de justice prévoit également des ajustements de nature à affecter, de manière plus large, toutes les affaires préjudicielles introduites devant sa juridiction : toute demande de décision préjudicielle, qu’elle soit traitée in fine par la Cour de justice ou le Tribunal, sera notifiée au Parlement européen, au Conseil et à la Banque centrale européenne pour faciliter la possibilité, lorsque ces institutions estiment avoir un intérêt particulier, de déposer des mémoires ou observations écrites. Par ailleurs, les mémoires ou observations écrites des parties seront publiées, dans un délai raisonnable après la clôture de l’affaire, sur le site internet de la Cour de justice (CURIA), sauf si l’intéressé ne s’oppose à cette publication.

Enfin, le règlement prévoit que le mécanisme d’admission préalable des pourvois soit élargi aux décisions rendues par des nouvelles chambres de recours indépendantes des six offices et agences suivants : l'Agence de l'Union européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie (ACER), le Conseil de résolution unique (CRU), l'Autorité bancaire européenne (ABE), et les trois Autorités européennes de surveillance (l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP) et l'Agence de l'Union européenne pour les chemins de fer (ERA)) partageant la même chambre de recours. D’ailleurs, le mécanisme de filtrage des pourvois sera également élargi aux décisions du Tribunal relatives à l’exécution d’un contrat comportant une clause compromissoire, au sens de l’article 272 TFUE.

Avec l’augmentation du nombre ainsi que de la complexité des affaires portées devant la Cour de justice en vertu de l’article 267 TFUE, ce transfert de compétence, déjà prévu dans le traité de Nice (2001) mais jamais intégré dans le statut de la Cour, vise à garantir une bonne administration de la justice dans des délais raisonnables et à protéger la mission de la Cour de justice de garantir l’unité et la cohérence du droit de l’Union européenne. A ce titre, la Cour détiendra une compétence exclusive pour connaître des questions préjudicielles qui, bien que rattachées aux six domaines susmentionnés, soulèvent des questions d’interprétation du droit primaire (y compris la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne), du droit international public et des principes généraux du droit de l’Union.

L’entrée en vigueur du règlement (1er septembre 2024) représente une réforme substantielle de l’organisation structurelle de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’interaction entre les deux degrés de juridiction au sein de l’Union. Parmi les questions encore ouvertes relatives à la mise en œuvre de ces ajustements, qui visent à accroître l’efficacité procédurale du système judiciaire de l’Union, il reste la définition plus précise des critères sur lesquels la Cour de justice s’appuiera dans sa sélection des demandes susceptibles d’être transférées au Tribunal. La future désignation des avocats généraux parmi les juges du Tribunal pourra aussi, à moyen et long terme, poser des questions importantes dans le rapprochement du rôle de juge et d’avocat général, actuellement bien distincts, au sein de la Cour de justice de l’Union européenne.

Reproduction autorisée avec la référence suivante : Sara Notario, Transfert partiel de la compétence préjudicielle au Tribunal de l’Union européenne, actualité n° 24/2024, publiée le 12 septembre 2024, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch