Dans son jugement du 21 décembre 2023, Royal Antwerp Football Club, la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que les règles de l’UEFA (Union of European Football Associations) et de l’URBSFA (Union Royale Belge des Sociétés de Football-Association) sur les «joueurs formés localement» pourraient être contraires au droit de l’Union.
En l’espèce, UL, un joueur de football professionnel qui possède la nationalité d’un pays tiers ainsi que la nationalité belge, et le Royal Antwerp, un club de football professionnel établi en Belgique, ont contesté, devant la Cour belge d’arbitrage pour le sport (CBAS), les règles adoptées par l’UEFA et par l’URBSFA qui imposent aux clubs de football d’avoir dans les équipes un nombre minimal de « joueurs formés localement ». Par une sentence arbitrale, la CBAS a rejeté la demande. Par la suite, UL et le Royal Antwerp ont saisi le tribunal de première instance francophone de Bruxelles afin d’obtenir l’annulation de la sentence arbitrale. S’interrogant sur la compatibilité des règles sur les « joueurs formés localement » avec la libre circulation des travailleurs, consacrée à l’article 45 TFUE, et avec les règles de concurrence, prévues à l’article 101 TFUE, le juge belge a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice d’un renvoi préjudiciel en interprétation sur la base de l’article 267 TFUE.
Dans son arrêt, la Cour de justice a, en premier lieu, confirmé que les règles de l’UEFA et de l’URBSFA relevaient du champ d’application du droit de l’Union. Selon la jurisprudence établie, dans la mesure où l’exercice d’un sport constitue une activité économique, il relève des dispositions du droit de l’Union., en dépit du fait que les articles 6, sous e), TFUE et 165 TFUE ne confèrent à l’Union qu’une compétence d’appui dans le domaine de sport.
La Cour de justice a également considéré que l’article 101 TFUE était applicable à l’UEFA et à l’URBSFA puisque ces deux associations ont pour membres ou pour affiliés des entités qui peuvent être qualifiées d’« entreprises » en ce qu’elles exercent une activité économique, à l’instar des clubs de football. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier si les règles sur les « joueurs formés localement » restreignent la concurrence en raison de leur objet ou leurs effets, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. S’il s’avère que tel est le cas, l’UEFA et l’URBSFA pourront faire valoir que les règles sportives seraient justifiées dans les conditions prévues à l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
S’agissant de la libre circulation, la Cour de justice a rappelé que l’article 45 TFUE s’opposait à toute mesure susceptible de défavoriser les ressortissants de l’Union lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un État membre autre que leur État membre d’origine, en les empêchant ou en les dissuadant de quitter ce dernier. Pour la Cour de justice, tel est le cas pour les règles qui imposent aux clubs de football professionnel d’inclure dans la liste de leurs joueurs et d’inscrire sur la feuille de match un nombre minimum de « joueurs formés localement ». Toutefois, conformément à une jurisprudence constante, une entrave à la libre circulation des travailleurs peut être admise à condition qu’elle poursuive un objectif légitime d’intérêt général, et qu’elle soit apte à garantir la réalisation de cet objectif et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci. A cet égard, la Cour de justice a rappelé que l’objectif consistant à encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs de football professionnel constituait un objectif légitime d’intérêt général. La juridiction de renvoi devra encore examiner, au vu de l’ensemble des éléments pertinents, si les règles en question remplissent les conditions d’aptitude et de nécessité.
Cet arrêt s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence établie par la Cour de justice selon laquelle les dispositions des traités en matière de marché intérieur s’appliquent à toute activité économique, y compris dans le domaine du sport, de la culture ou de l’éducation, indépendamment du fait que l’Union européenne ne s’est vu confier une compétence d’appui dans ces domaines. Cette interprétation des règles du marché intérieur est toutefois accompagnée d’une large marge d’appréciation dans l’application desdites règles laissée à la juridiction nationale de renvoi dans l’affaire au principal.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Mateusz Miłek, Compatibilité des règles de l’UEFA et de l’URBSFA sur les « joueurs formés localement » avec les dispositions du droit de l’Union européenne, actualité n° 2/2024, publiée le 24 janvier 2024, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch