Dans l’arrêt T-402/20 Zippo Manufacturing, rendu le 18 octobre 2023, le Tribunal a annulé les mesures imposant des droits de douane additionnels sur certains briquets en provenance des Etats-Unis. Il a considéré que la Commission européenne aurait dû entendre la productrice américaine Zippo dans la procédure d’adoption des mesures de rééquilibrage sur la base du règlement concernant l'exercice des droits de l'Union pour l'application et le respect des règles du commerce international (règlement (UE) n° 654/2014).
En janvier 2020, les États-Unis ont augmenté les droits de douane sur les importations de certains produits en aluminium et en acier. La Commission européenne estimait que cette mesure visait à protéger l’industrie nationale contre la concurrence étrangère. En réponse, elle a adopté le règlement d’exécution (UE) 2020/502, lequel a imposé, à partir du 8 mai 2020 et jusqu’au 31 décembre 2021, des droits de douane additionnels (jusqu’à 20 %) sur les importations dans l’Union de certains produits originaires des États-Unis, y compris des briquets tempête mécanique en métal fabriqués par la productrice américaine Zippo.
En vertu de l’article 263 TFUE, Zippo Manufacturing Co., Zippo GmbH et Zippo SAS, appartenant au même groupe de sociétés, ont introduit un recours en demandant au Tribunal d’annuler le règlement d’exécution (UE) 2020/502 (ci-après le « règlement attaqué »). A l’appui de son recours, les requérantes ont soulevé la violation du droit d’être entendu.
Dans son arrêt, le Tribunal a rappelé que l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit que le droit à une bonne administration comporte le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard. Partant, même si une mesure de rééquilibrage n’est pas prise à l’issue d’une procédure individuelle à l’encontre des entreprises exportatrices des produits concernés par celle-ci, elle peut constituer une mesure susceptible d’affecter de manière défavorable les intérêts desdites entreprises.
A sa défense, la Commission européenne a fait valoir que la procédure d’adoption d’un acte d’exécution, ne prévoit pas l’identification des producteurs ou des exportateurs dont les produits sont susceptibles de faire l’objet de mesures de rééquilibrage. Le Tribunal a rejeté cet argument en indiquant qu’en l’espèce, la Commission savait, au cours de la procédure d’adoption du règlement attaqué, non seulement que les produits des requérantes figuraient parmi ceux auxquels les droits de douane additionnels en cause devaient s’appliquer, mais également que lesdits droits les concernaient en grande partie.
La Commission a aussi contesté l’existence même du droit des requérantes à être entendues, étant donné que l’ensemble de la procédure d’adoption du règlement attaqué était soumis aux délais résultant des dispositions de l’article 8, paragraphe 2, de l’accord de OMC sur les sauvegardes et que le recueil d’informations devait nécessairement s’inscrire dans ce cadre. Cette disposition prévoit que la suspension des concessions au commerce de l’État tiers ayant adopté des mesures de sauvegarde doit intervenir dans un délai de 90 jours à compter de l’application de ces mesures et à l’expiration d’un délai de 30 jours à compter de celui où le Conseil du commerce des marchandises de l’OMC a reçu un avis écrit l’informant de cette suspension. Pour cette raison, la Commission européenne a soutenu qu’elle n’aurait pas disposé matériellement du temps nécessaire pour entendre les requérantes au cours de la procédure d’adoption du règlement attaqué.
Le Tribunal a rejeté également cet argument en précisant qu’il appartenait à la Commission, d’une part, de s’assurer du respect des délais découlant des dispositions de l’article 8, paragraphe 2, de l’accord OMC sur les sauvegardes et, d’autre part, d’entendre les requérantes, qui disposaient du droit d’être entendues au cours de la procédure d’adoption du règlement attaqué. En outre, le Tribunal a jugé que la Commission n’a pas apporté la preuve de son impossibilité d’entendre les requérantes au cours de la procédure d’adoption du règlement attaqué, alors qu’elle a reconnu les avoir identifiées de sa propre initiative dans ce cadre. En dernier lieu, le Tribunal a ajouté qu’il ne saurait être exclu que le règlement attaqué aurait eu un contenu différent si les requérantes avaient été entendues par la Commission préalablement à l’adoption de celui-ci.
Au regard de ces arguments, le Tribunal a annulé le règlement attaqué. L’affaire Zippo Manufacturing constitue la première application du droit d’être entendu, consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, dans le cadre de l’adoption des mesures de rééquilibrage arrêtées en vue d’assurer l’exercice par l’Union des droits qui lui sont conférés par les règles du commerce international. L’arrêt du Tribunal s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle établie par la Cour de justice de l’Union européenne, selon laquelle les obligations qu’impose un accord international ne sauraient avoir pour effet de porter atteinte aux principes constitutionnels des traités, au nombre desquels figure le principe selon lequel tous les actes de l’Union doivent respecter les droits fondamentaux. Reste à voir si la Cour de justice confirmera ces appréciations au cas où la Commission européenne déciderait d’introduire un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Mateusz Miłek, Annulation des mesures de rééquilibrage prises par la Commission européenne pour violation du droit d’être entendu, actualité du CEJE n° 37/2023, 6 novembre 2023, disponible sur www.ceje.ch