Dans l’affaire C-530/20, la Cour de justice de l’Union européenne (la « CJUE ») a été amenée à interpréter la notion de publicité des médicaments figurant dans la directive 2001/83 du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain en lien avec la législation lettone applicable en la matière. Le litige dans l’affaire, au principal, porte sur la légalité d’une disposition nationale interdisant certaines formes de publicité pour les
médicaments.
En l’espèce, EUROAPTIEKA, une société à responsabilité limitée, exerçait une activité pharmaceutique en Lettonie. Par le biais d’une décision rendue en avril 2016, le service contrôle des médicaments du pays a interdit, sur le fondement du la législation lettonne, EUROAPTIEKA de diffuser une publicité qui promeut une réduction de 15% sur le prix d’achat de tout médicament en cas d’achat d’au moins trois articles. En d’autres termes, il s’agissait de la publicité des médicaments indéterminés, non soumis à une prescription médicale et non remboursables, qui furent interdites par les autorités lettonnes.
En 2020, EUROAPTIEKA a formé un recours contre la loi nationale fixant les modalités de publicité pour les médicaments devant la Cour constitutionnelle de Lettonie. La partie requérante faisait valoir devant le juge letton que la disposition nationale s’appliquait à la publicité pour des médicaments en général ainsi que pour les médicaments déterminés alors que la directive 2001/83 s’appliquait uniquement aux médicaments déterminés. Ces derniers médicaments sont définis comme étant des médicaments spécifiques. En outre, EUROAPTIEKA a précisé que ladite directive a procédé à une harmonisation complète dans le domaine de la publicité pour les médicaments et, que par conséquent, elle empêchait les Etats membres de fixer des règles nationales supplémentaires qui limiteraient la publicité des médicaments.
Dans ces circonstances, la Cour constitutionnelle lettonne a décidé de surseoir à statuer et a posé plusieurs questions préjudicielles relatives à l’interprétation de la directive 2001/83. Elle voulait savoir, notamment, si les mesures prévues par la loi lettonne rentrent dans le champ d’application de l’article 86, paragraphe 1, de la directive 2001/83. En outre, elle questionne à la CJUE la légalité de la loi nationale en question avec ladite directive.
Pour répondre aux questions posées, la CJUE a procédé à une interprétation littérale, contextuelle et téléologique de l’article 86 de la directive 2001/83.
D’un point de vue textuel, la CJUE a indiqué que l’article 86, paragraphe 1, de la directive contient la notion de publicité pour des médicaments. Elle a, en outre, précisé que le terme « médicaments » dans la directive est utilisé au pluriel. Par conséquent, l’article 86 de la directive envisage une notion très large de la « publicité pour des médicaments ». Elle a rappelé que la disposition de la directive couvre « toute forme de démarchage d’information, de prospection ou d’incitation qui vise à promouvoir la prescription, la délivrance, la vente ou la consommation de médicaments ».
D’un point de vue contextuel, la CJUE a mentionné que le titre VIII de la directive 2001/83, dont l’article 86 en fait partie, concerne la publicité pour les médicaments et que ce titre promeut toute action relative à la prescription, la délivrance, la vente ou la consommation de médicaments.
Enfin, la Cour de justice a examiné les finalités de la directive et a conclu que l’objectif de ladite directive est de sauvegarder la santé publique. Cet objectif serait compromis, selon la Cour, si une activité relative à la directive n’entrait pas dans le champ d’application de la notion de publicité pour des médicaments.
Pour ce qui est des médicaments indéterminés non soumis à prescription médicale ni remboursables, définis comme étant un ensemble de médicaments non identifiés, la Cour a considéré qu’une publicité contenant un ensemble indéterminé de médicaments inciterait les consommateurs à une utilisation irrationnelle des médicaments.
Pour les motifs ci-dessus, la Cour de justice a constaté, que la notion de « publicité pour des médicaments » visée par la directive 2001/83 couvre non seulement les médicaments déterminés mais également les médicaments indéterminés.
Ensuite, la Cour de justice a observé que l’article 87, paragraphe 3, de la directive 2001/83 doit être interprété en ce sens qu’il appartient aux Etats membres de ne pas inclure des éléments, autres que ceux prévus par l’article 90 de la directive qui sont de nature à favoriser l’usage irrationnel des médicaments en question.
La Cour a rappelé la finalité de la directive et a précisé que des publicités de médicaments, telles que celle prévue par EUROAPTIEKA, sont de nature à inciter les consommateurs à acheter des médicaments non soumis à prescription médicale et non remboursables en raison du prix de ces médicaments. Par conséquent, ce type de publicité inciterait les consommateurs à acheter lesdits médicaments sans procéder à une évaluation objective relative aux propriétés thérapeutiques.
Pour ces raisons, la Cour a considéré que les interdictions prévues par le droit letton répondent à l’objectif essentiel de sauvegarde de la santé publique.
La Cour a conclu que l’article 87, paragraphe 3, et l’article 90 de la directive 2001/83 ne s’opposent pas à ce qu’une disposition de la législation nationale interdise d’inclure, dans la publicité de médicaments qui ne sont pas soumis à prescription médicale et ne sont pas remboursables, des informations qui encourageraient l’achat et utilisation irrationnelle des médicaments. En d’autres termes, la disposition du droit de letton relative à la publicité des médicaments répond à l’objectif essentiel de sauvegarde de la santé publique et est donc compatible avec la directive 2001/83.
Le présent arrêt constitue une illustration de l’utilisation par la Cour de justice de plusieurs méthodes d’interprétation pour justifier l’acception large de la notion figurant dans la directive. L’interprétation littérale a certes joué un rôle important dans l’inclusion des médicaments indéterminés dans le champ d’application de la directive 2001/83. Cependant, c’est surtout l’interprétation téléologique qui a permis de déterminer, qu’en l’occurrence, l’intérêt de la sauvegarde de la santé publique l’emporte sur l’intérêt privé d’une entreprise, telle que EUROAPTIEKA.
Saud Ahmed, Une interprétation large de la directive 2001/83 interdisant une certaine publicité des médicaments indéterminés, non soumis à prescription et ni remboursable, actualité du CEJE n° 01/2023, 30 janvier 2023, disponible sur www.ceje.ch