Bien que l’Union européenne est dotée d’une personnalité juridique propre (article 47 TUE), elle doit souvent s’appuyer sur l’action de ses États membres pour défendre ses intérêts sur la scène internationale. La nécessité de coopérer étroitement avec ses États membres concerne notamment la participation de l’Union à certaines organisations internationales auxquelles seuls les États peuvent adhérer. Dans l’arrêt récent Commission c. Conseil (Affaire C‑161/20), rendu le 5 avril 2022, la Cour de justice de l’Union a eu l’occasion de se prononcer sur la question délicate touchant à la représentation externe de l’UE et la réalisation de ses objectifs au sein de l’Organisation maritime internationale (OMI).
En l’espèce, le Comité de l’OMI responsable de la mise en œuvre de la Convention Marpol (Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires, l’une des conventions signées sous l’égide de l’OMI) a institué un groupe de travail chargé de réfléchir sur les propositions relatives, entre autres, au recours à de combustibles de substitution à émissions de carbone faibles. Dans le cadre de son mandat, le Groupe de travail a invité ses États membres et les organisations internationales « à présenter des propositions de projets de lignes directrices sur l’intensité en gaz à effet de serre/carbone au cours du cycle de vie, pour tous les types de combustibles pertinents. » En réponse à cet appel, la Commission européenne (Commission) a transmis au Conseil de l’UE (Conseil) un document de travail avec l’annexe contenant une contribution visant à l’établissement de la position de l’UE en vue de sa transmission à l’OMI. Le document précisait que la contribution était « présentée par la Commission européenne au nom de l’Union européenne ». Le Conseil a considéré qu’un tel document ne pouvait pas être transmis à l’OMI. L’UE, contrairement à l’ensemble de ses États Membres, n’est partie ni à la Convention portant création de l’OMI ni à la Convention Marpol (l’adhésion à ces instruments étant réservée aux entités étatiques). Pour cette raison, le Conseil a préparé un autre projet de contribution qui serait présenté « au nom des 27 États membres et de la Commission. » Cette nouvelle contribution a été approuvée par le Coreper et transmise à l’OMI par la Croatie, assurant à l’époque la présidence de l’Union européenne. Estimant que la décision du Coreper empiétait sur ses prérogatives de représentation externe découlant de l’article 17, paragraphe 1, TUE, la Commission européenne a saisi la Cour de justice de l’Union pour demander l’annulation de ladite décision. Dans sa demande, elle soulevait deux moyens, le premier relatif à la possible violation de l’article 3(2) TFUE sur les compétences exclusives de l’UE et le second tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE. C’est uniquement le second moyen qui a été examiné au fond par la Cour.
L’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, dispose que la Commission européenne assure la représentation extérieure de l'Union à l’exception de la politique étrangère et de sécurité commune et des autres cas prévus par les traités. La Commission soutenait qu’étant donné que la contribution litigieuse relevait du domaine de la compétence exclusive de l’Union, c’est à elle seule qu’il appartenait de présenter le document à l’OMI. Cet argument a été rejeté par la Cour. La Haute juridiction a rappelé que l’article 17, paragraphe 1, TUE « « n’introduit aucune distinction selon que l’Union exerce sa compétence externe exclusive [...] ou qu’elle exerce une compétence externe partagée avec les États membres » (point 51). L’exercice de la compétence externe par la Commission européenne ne dépend pas de la nature de la compétence. Cet exercice est pourtant soumis aux exigences découlant du droit international pertinent. En l’espèce, l’Union n’étant pas membre de l’OMI, il n’était pas possible pour la Commission européenne de présenter la contribution litigieuse au nom de l’Union.
La Cour de justice a ensuite observé que le fait que l’Union ne soit pas membre de l’OMI « n’empêche pas que sa compétence externe puisse être effectivement exercée en la matière » (point 67). Elle a rappelé que la compétence externe de l’Union peut être exercée par les États membres, agissant conjointement, conformément au principe de coopération loyale (article 4, paragraphe 3, TUE). Le Conseil a ainsi pris une décision correcte en présentant la contribution en question en nom des États membres, agissant conjointement dans l’intérêt de l’Union. De même, il était tout à fait possible pour les États Membres de charger la Croatie de transmettre la contribution à l’OMI en leur nom et au nom de la Commission européenne. Finalement, la Cour a admis que les États membres ont la faculté d’attribuer à la Commission la charge d’assurer leur représentation externe à condition que le droit international pertinent ne s’y oppose pas.
L’arrêt rendu en grande chambre apporte des clarifications précieuses sur le champ d’application de l’article 17, paragraphe 1, TUE. La Cour opère une nette séparation entre, d’une part, la question de l’existence d’une compétence externe de l’Union dans le domaine concerné et, d’autre part, la question de la représentation de l’Union au moment de l’exercice de ladite compétence. Elle rappelle que la nature de la compétence n’affecte pas les modalités de représentation. Pour cette raison, le premier moyen soulevé par la Commission européenne relatif à l’existence de la compétence exclusive dans le domaine concerné a été facilement écarté. L’imposition de limites quant au recours à l’article 17, paragraphe 1, TUE, conférant à la Commission la mission de représentation de l’Union européenne, se justifie par l’impératif d’assurer la coexistence harmonieuse entre l’ordre juridique de l’Union et les règles du droit international. Lors de la détermination des modalités de représentation de l’Union sur le plan externe, l’Union et les États Membres doivent dûment tenir compte des contraintes découlant du droit international.
Alicja Słowik, La participation de l'Union européenne aux organisations internationales : précisions sur le champ d’application de l’article 17, paragraphe 1, TUE, actualité du CEJE n°10/2022, 13 avril 2022, disponible sur www.ceje.ch