Dans son arrêt Governor of Cloverhill Prison du 16 novembre 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a déclaré l’autonomie de l’article 50 du traité sur l’Union européenne (TUE) comme base juridique pour adopter l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, d’une part, et de l’article 217 du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) comme base juridique pour adopter l’accord de commerce et de coopération entre l’UE et le Royaume-Uni, d’autre part.
Le litige au principal concerne deux personnes placées en détention en Irlande dans l’attente d’une décision sur leur remise aux autorités du Royaume-Uni en vue de l’exécution des peines infligées par celles-ci. Dans les deux cas, le mandat d’arrêt européen a été émis avant la fin de la période de transition (le 31 décembre 2020) durant laquelle le Royaume-Uni a été considéré comme un Etat membre de l’Union en vue de l’application du droit de l’UE à son égard. S’agissant de leur détention, la première personne a été arrêtée en Irlande avant la fin de la période de transition et la deuxième personne après la fin de celle-ci. Cette différence signifie que la remise de la première personne aux autorités du Royaume-Uni est régie par l’article 62, paragraphe 1, sous b), et l’article 185, quatrième alinéa, de l’accord de retrait. La remise de la deuxième personne, par contre, est régie par l’article 632 de l’accord de commerce et de coopération. Selon les requérants au litige principal, l’Irlande ne serait pas liée par ces dispositions ni dans l’accord de retrait ni dans l’ACC étant donné qu’elles relèvent des mesures concernant l’espace de liberté, sécurité et de justice de l’Union (ELSJ), visées par le protocole n° 21. Pour chacun de ces accords, il aurait été nécessaire, selon les requérants, de recourir également à l’article 82, paragraphe 1, second alinéa, sous d), TFUE (coopération judiciaire en matière pénale) comme base juridique additionnelle.
S’agissant de l’accord de retrait, la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur le but poursuivi par l’article 50 TUE dans son arrêt Wightman du 18 décembre 2018. La Cour avait indiqué que cette disposition poursuit un double objectif qui vise d’une part, à consacrer le droit souverain d’un Etat membre de se retirer de l’Union et, d’autre part, à mettre sur pied une procédure visant à permettre qu’un tel retrait s’opère de façon ordonnée » (aff. C-621/18, pt 56). Dans l’arrêt Governor of Cloverhill Prison du 16 novembre 2021, la Cour a insisté sur le second objectif de l’article 50 TUE. Le retrait ordonné du Royaume-Uni de l’Union a requis, selon la Cour, que pendant la période de transition les règles constituant une partie importante de l’acquis de l’Union continuent à s’appliquer sur le territoire du Royaume-Uni. Par conséquent, la Cour a conclu que seul l’article 50 TUE constitue une base juridique autonome et indépendante de toute autre base juridique qui peut garantir à lui seul que le retrait s’opère de façon ordonnée (pt 54). Par ailleurs, la Cour a rappelé que, l’Irlande étant liée par le régime de mandat d’arrêt européen avant l’entrée en vigueur de l’accord de retrait, y compris à l’égard du Royaume-Uni, l’adjonction de l’article 82, paragraphe 1, second alinéa, sous d), TFUE à la base juridique matérielle de l’accord de retrait créerait des incertitudes juridiques contraires au retrait ordonné du Royaume-Uni de l’UE car l’inclusion de cette disposition entraînerait l’application du protocole n°21 et, par conséquent, l’Irlande serait traitée comme n’ayant jamais participé au régime de mandat d’arrêt européen. En ce qui concerne les accords d’association conclus sur la base de l’article 217 TFUE, ceux-ci peuvent contenir des règles relatives à tous les domaines relevant de la compétence de l’Union (voir, dans ce sens, l’arrêt du 18 décembre 2014, dans l’affaire C-81/13). Par conséquent, l’inclusion de bases juridiques plus spécifiques dans ce type d’accord chaque fois qu’il porte sur une matière spécifique serait de nature à vider de leur substance la compétence et la procédure (unanimité des Etats membres) prévues par l’article 217 TFUE (voir, en ce sens, l’arrêt du 2 septembre 2021, dans l’affaire C-180/20). La Cour a signalé que ces considérations s’appliquent mutatis mutandis à l’accord de commerce et de coopération. La Cour a aussi voulu rappeler que les Etats membres de l’Union ont tous accepté l’inclusion des dispositions sur l’ELSJ dans l’accord de commerce et de coopération. Il s’ensuit que les dispositions de cet accord sur la remise de personnes sur la base d’un mandat d’arrêt européen sont correctement fondées sur l’article 217 TFUE.
L’Irlande est donc liée par les dispositions respectives sur la remise de personnes de l’accord de retrait et de l’accord de commerce et de coopération et devra exécuter les deux mandats d’arrêt européen émis par le Royaume-Uni.
L’arrêt Governor of Cloverhill Prison du 16 novembre 2021 est important du point de vue de la nature spécifique des relations bilatérales entre l’Union et le Royaume-Uni. L’accord de commerce et de coopération n’est pas un simple accord de commerce entre l’Union et un pays tiers, mais il a pour but d’établir une relation plus étroite entre les parties. Le fait que tous les Etats membres de l’Union, y compris ceux qui bénéficient des « opts-out » en matière de l’ELSJ, sont liés par cet accord révèle l’existence d’un lien particulier entre les parties contractantes. Par ailleurs, l’arrêt de la Cour confirme que l’Union a une large compétence pour conclure aussi bien un accord de retrait sur la base de l’article 50 TUE qu’un accord d’association sur la base de l’article 217 TFUE.
Maddalen MARTIN, Mandat d’arrêt européen, accord de retrait du Royaume-Uni de l’UE et accord de commerce et de coopération, actualité du CEJE n°39/2021, disponible sur www.ceje.ch