Dans l’arrêt du 6 octobre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a accueilli le recours en manquement introduit par la Commission européenne contre la Hongrie pour avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’Accord général sur le commerce des services (« AGCS »), conclu dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce), du TFUE, de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et du droit dérivé de l’UE.
Deux mesures hongroises sont à l’origine du recours en constatation de manquement. Il s’agit d’une part, de la soumission de l’exercice, en Hongrie, de l’activité des établissements d’enseignement supérieur étrangers, y compris des établissements ayant leur siège dans un autre État membre de l’Espace économique européen (« EEE », ci-après), à la condition qu’ils dispensent une formation d’enseignement supérieur dans l’État de leur siège; et d’autre part, de la subordination de l’exercice, en Hongrie, d’une activité de formation diplômante par les établissements d’enseignement supérieur situés en dehors de l’EEE à l’existence d’une convention internationale liant la Hongrie à l’État tiers dans lequel l’établissement concerné a son siège.
Tout d’abord, la Cour a rejeté les motifs d’irrecevabilité soulevés par la Hongrie, et d’incompétence de la Cour pour connaître des griefs tirés de violations de l’AGCS. La Cour a rappelé que l’AGCS fait partie de l’accord instituant l’OMC, lequel fait partie intégrante du droit de l’UE dès son entrée en vigueur, (voir la jurisprudence de la Cour sur la valeur des accords internationaux adoptés par l’UE, e.g. l’arrêt du 30 avril 1974 dans l’affaire C-181/74, Haegemann). Ayant admis sa compétence, la Cour a entamé l’examen du fond du recours en manquement.
Premièrement, la Cour a été appelée à décider si l’exigence introduite par la loi hongroise tenant à l’existence d’une convention internationale préalable est contraire à l’article XVII de l’AGCS. Cette disposition veille à ce que les États membres de l’OMC accordent aux services et fournisseurs de services de tout autre État membre un traitement non moins favorable que celui qu'il accorde à ses propres services similaires et à ses propres fournisseurs de services similaires. La Cour a jugé que l’exigence mentionnée impose aux prestataires n’appartenant pas à l’EEE une condition supplémentaire pour fournir des services d’enseignement supérieur en Hongrie par rapport à celles applicables aux prestataires de services similaires établis dans cet État membre ou dans un autre État membre de l’EEE, d’où l’atteinte à l’article XVII de l’AGCS. La Cour a ensuite examiné si cette violation peut être justifiée au titre de l’une des justifications prévues à l’article XIV de l’AGCS, dont le maintien de l’ordre public et la prévention des pratiques trompeuses. À cet égard, la Cour a considéré que les explications fournies par le gouvernement hongrois ne suffisaient pas à justifier l’atteinte.
Deuxièmement, la Cour a examiné si l’exigence tenant à la dispensation d’une formation dans l’État du siège de l’établissement concerné est contraire à l’article XVII de l’AGCS, ainsi qu’à l’article 49 TFUE et à l’article 16 de la directive 2006/123 relative aux services dans le marché intérieur qui garantissent le droit des prestataires de fournir des services dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis. La Cour a constaté que cette exigence crée un désavantage concurrentiel pour les fournisseurs de services d’enseignement supérieur ayant leur siège dans un État tiers membre de l’OMC et souhaitant s’établir en Hongrie. La Cour a considéré ensuite qu’il n’y a lieu de justifier l’atteinte à l’article XVII de l’AGCS ni en raison du maintien de l’ordre public, ni en raison de la prévention des pratiques trompeuses. Par ailleurs, la Cour a jugé que cette exigence relève de l’article 49 TFUE et qu’elle est de nature à rendre moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement en Hongrie pour les ressortissants d’un autre État membre. Par conséquent, la Cour a constaté une restriction à la liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE et a rejeté les motifs de justification de l’atteinte soulevés par la Hongrie. Par des motifs analogues, la Cour a conclu que la Hongrie a violé l’article 16 de la directive 2006/123 et que les motifs de justification de l’atteinte doivent également être rejetés.
Troisièmement, la Cour a examiné si les deux exigences introduites par la loi hongroise de 2017 sont conformes aux articles 13, 14, paragraphe 3, et 16 de la Charte des droits fondamentaux. Ces dispositions garantissent respectivement la liberté académique, la liberté de créer des établissements d’enseignement et la liberté d’entreprise. La Cour a considéré que les exigences contenues dans la loi hongroise sont susceptibles de mettre en péril l’activité académique des établissements d’enseignement supérieur étrangers sur le territoire hongrois et que, en outre, elles sont de nature à rendre incertaine ou à exclure la possibilité même de créer en Hongrie un établissement d’enseignement supérieur ou de continuer à y exploiter un tel établissement déjà existant. Ces diverses ingérences n’ayant pas trouvé de justifications au regard de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, qui visent à protéger les objectifs d’intérêt général reconnus par l’UE, ainsi que les droits et libertés d’autrui, la Cour a constaté que la Hongrie avait également manqué aux dispositions précitées de la Charte.
Suite à la constatation des manquements susmentionnés, la Hongrie est censée prendre les mesures nécessaires pour exécuter l’arrêt de la Cour du 6 octobre 2020. Néanmoins, les conclusions de la Cour arrivent après la relocalisation en 2019 d’une partie de l’enseignement de l’Université centrale européenne, affectée par la loi hongroise du 2017, hors du territoire hongrois.
Maddalen MARTIN, Incompatibilité de la loi hongroise relative à l’enseignement supérieur avec le droit de l’Union européenne, actualité du CEJE nº 37/2020, disponible sur www.ceje.ch.