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Manquement par la Hongrie, la Pologne et la République tchèque à leurs obligations en matière de relocalisation des migrants

Maddalen Martin-Arteche , 5 avril 2020

Dans un arrêt du 2 avril 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après, la Cour) a déclaré que la Pologne, la Hongrie et la République tchèque ont manqué à leurs obligations de relocalisation de demandeurs de protection internationale découlant des décisions du Conseil 2015/1523 et 2015/1601 respectivement du 14 et du 22 septembre 2015.

Les décisions de 2015 susmentionnées ont été adoptées à la suite des flux migratoires extraordinaires arrivant aux frontières méridionales de l’Union européenne. Elles ont mis en place un mécanisme temporaire (jusqu'en septembre 2017) et exceptionnel de relocalisation obligatoire, de l’Italie et de la Grèce vers d’autres États membres, de personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale. Ce mécanisme avait pour objectif d’alléger la pression exercée sur les systèmes en matière d’asile en Italie et en Grèce.

La Commission européenne a constaté qu’aucun demandeur de protection internationale n’a été relocalisé sur le territoire de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque et a ouvert une procédure d’infraction conformément à l’article 258 TFUE. Dans la procédure devant la Cour, la Pologne et la Hongrie ont soutenu qu’elles étaient en droit, en vertu de l’article 72 TFUE, lu conjointement avec l’article 4, paragraphe 2, TUE, de laisser inappliquées leurs obligations de relocalisation. L’article 4, paragraphe 2, TUE, mentionne le respect par l’Union européenne des fonctions essentielles de l'État, notamment celle de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. L’article 72 TFUE réserve aux États membres la compétence exclusive pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure dans le cadre d’actes adoptés dans le domaine de l’espace de liberté, sécurité et justice. Se basant sur ces deux dispositions, la Pologne et la Hongrie invoquent les risques que poserait la relocalisation éventuelle sur leur territoire de personnes extrémistes et dangereuses pouvant se livrer à des actes violents, voire des actes de nature terroriste. La République tchèque, de son côté, soutient que sa décision de laisser inappliquées les décisions du Conseil de 2015 était justifiée par le fait que, dans son application concrète, le mécanisme de relocalisation s’est révélé être inefficace. Cet État membre a en outre souligné le manque de coopération des autorités grecques et italiennes lors de la relocalisation des migrants vers d’autres États membres. Il a aussi exprimé sa préférence pour d’autres types d’aide afin d’alléger la pression sur les systèmes en matière d’asile en Italie et en Grèce, notamment, l’assistance financière, technique ou de personnel.

La Cour de justice a considéré que le TFUE ne permet d’invoquer l’ordre public ou la sécurité publique comme justification pour ne pas s’acquitter des obligations qui résultent de celui-ci, que dans les cas spécifiquement prévus par les traités. Une réserve générale en faveur des États membres pour assurer le maintien de l’ordre public risquerait de porter atteinte au caractère contraignant et à l’application uniforme du droit de l’Union.

De surcroît, l’article 72 TFUE impose aux États membres de prouver la nécessité de recourir à la dérogation prévue à cette disposition. Pour ce faire, les États membres doivent s’appuyer sur des éléments concordants, objectifs et précis, permettant de soupçonner que le demandeur de protection internationale représente un danger actuel ou potentiel pour la sécurité publique ou l’ordre public de l’État membre en cause. En outre, la Cour insiste sur le fait que les décisions de 2015 ont prévu des possibilités pour protéger les intérêts des États membres liés à l’ordre public et à la sécurité intérieure, sans toutefois porter atteinte à l’objectif de relocalisation des migrants. Quant à l’argument avancé par la République tchèque, la Cour rappelle le caractère obligatoire des décisions du Conseil et le principe de solidarité qui régit l’action de l’UE dans le domaine de l’asile (article 80 TFUE). C’est aussi dans un esprit de solidarité et de coopération que les États membres auraient dû faire face ensemble aux difficultés apparues lors de la mise en place du mécanisme de relocalisation des migrants.

A l’échéance de la période couverte par les décisions, en 2017, la relocalisation des migrants n’a lieu que sur la base des efforts volontaires des États membres désirant y participer, avec la coordination de la Commission européenne et des agences de l’Union européenne, compétentes en la matière. Le refus de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque de ne pas appliquer les décisions de 2015 vient s’ajouter à leur refus de modifier le règlement de Dublin afin de mettre en place un système de partage des demandes d’asile qui soit plus solidaire envers les États membres dont le système est surchargé. Ces diverses attitudes mettent en cause l’avenir de la politique d’asile de l’Union européenne : se développera-t-elle sur la base de mécanismes intergouvernementaux ou sur la base de mécanismes communs décidés au niveau de l'UE ? Et si c’est la seconde hypothèse qui l’emporte, verra-t-on participer tous les États membres, même les plus réticents, ou uniquement certains d’entre eux ? L’avenir nous le dira.

Maddalen MARTIN ARTECHE,  Manquement par la Hongrie, la Pologne et la République tchèque à leurs obligations en matière de relocalisation des migrants, actualité du CEJE nº 13/2020, disponible sur www.ceje.ch

Catégorie: Politique d'asile