Saisie d’un renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée, dans un arrêt du 3 avril 2019 (aff. C-266/18), sur l’interprétation de la directive 93/13 (ci-après « la directive ») et le contenu d’une clause contractuelle attribuant la compétence territoriale à une juridiction en vertu du droit national avec la protection des consommateurs prévue en droit de l’Union européenne.
Il ressort des faits qu’Aqua Med, professionnel ayant son siège à Opalenica (Pologne), a conclu un contrat de vente hors établissement avec Mme Skora, consommatrice domiciliée à Legnica (Pologne). Les conditions générales, faisant partie intégrante dudit contrat, prévoyaient que « [l]a juridiction compétente pour connaitre des litiges entre les parties sera la juridiction compétente en vertu des dispositions en vigueur ». N’ayant pas reçu le montant du prix de vente dans le délai convenu, Aqua Med a saisi le tribunal d’arrondissement du Nowy Tomysl (ci-après « le Tribunal »), dans le ressort duquel elle a son siège. En effet, l’article 34 du code de procédure civile polonais (ci-après « KPC ») prévoit que l’action tendant à l’exécution d’un contrat doit être portée devant le tribunal du lieu d’exécution. Selon Aqua Med, le paiement devait, en vertu de l’article 454 du KPC, être exécuté par virement sur son compte bancaire, à son siège.
Néanmoins, ledit Tribunal s’est déclaré incompétent d’office. En effet, ce dernier a retenu que le litige portait sur un contrat de consommation et qu’il fallait par conséquent appliquer le droit de l’Union européenne en matière de protection des consommateurs, plus précisément la jurisprudence de la Cour de justice, dont l’arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08 et l’article 6, paragraphe 1, de la directive. Il découle de ladite directive que les juridictions nationales ont l’obligation d’examiner d’office les clauses abusives dans le cadre des contrats de consommation, y compris les clauses relatives à la compétence juridictionnelle. Ledit Tribunal a examiné la clause litigieuse qu’il a jugé abusive. Par conséquent, il a écarté cette clause et appliqué l’article 27, paragraphe 1, du KPC, de telle sorte que la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le domicile de la défenderesse est territorialement compétent.
Dans un second temps, le Tribunal a éprouvé des incertitudes quant à l’application de la directive au motif que la clause contractuelle en question renvoie à des dispositions nationales applicables indépendamment de l’existence de celle-ci. Par conséquent, le Tribunal a posé à la Cour de justice deux questions préjudicielles. Premièrement, il souhaite savoir si le contrôle d’office fait par le tribunal national des clauses du contrat conclu avec un consommateur relatives à la détermination de la compétence juridictionnelle devrait également porter sur des clauses contractuelles se limitant à un renvoi à la réglementation prévue par le droit national. Deuxièmement, en cas de réponse affirmative, le Tribunal veut également savoir si le contrôle qu’il exerce conduira à appliquer les règles de compétence en matière de protection des consommateurs découlant de ladite directive.
Concernant la première question, la Cour de justice rappelle que le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel, en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information. Le consommateur est donc conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir y exercer une influence sur le contenu. La Cour de justice a précisé qu’à l’égard d’une situation d’infériorité, la directive oblige les Etats membres à prévoir un mécanisme assurant que toute clause contractuelle, n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, puisse être contrôlée afin d’apprécier son caractère éventuellement abusif. L’objectif de l’article 7 de la directive ne pourrait pas être atteint si le consommateur devait soulever lui-même le caractère abusif de la clause contractuelle. Il résulte de ce qui précède que la directive doit être interprété en ce sens qu’elle n’exclut pas de son champ d’application une clause contractuelle qui effectue un renvoi général au droit national applicable pour déterminer la compétence juridictionnelle du litige entre les parties.
Concernant la seconde question, il convient de considérer que le Tribunal demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 1 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des règles procédurales, figurant dans une clause contractuelle, qui permettent au professionnel de choisir, en cas d’un recours en non-exécution alléguée d’un contrat par le consommateur, entre la juridiction compétente du domicile du défendeur et celle du lieu d’exécution. La Cour de justice souligne dans sa réponse la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs, qui se trouvent dans une situation d’infériorité à l’égard des professionnels. En ce qui concerne la compétence territoriale pour connaître des litiges entre un professionnel et un consommateur, force est de constater que la directive 93/13 ne contient pas de disposition expresse déterminant la juridiction compétente. Cela étant, et comme le relève la Commission européenne dans ses observations écrites, il convient d’assurer une protection effective des droits que le consommateur tire de ladite directive. Par conséquent, il convient de répondre à la seconde question que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’elle permet à un professionnel l’insertion d’une telle clause de règles procédurales tant que cette dernière ne restreint pas excessivement au consommateur le droit de recours effectif conféré par le droit de l’Union européenne. Il incombe à la juridiction nationale de vérifier que la clause ne le restreigne pas de manière excessive.