L’article 207, paragraphe 1, du traité FUE prévoit la compétence exclusive de l’Union pour la conclusion d’accords tarifaires et commerciaux relatifs aux échanges de marchandises et de services et les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle, les investissements étrangers directs, l’uniformisation des mesures de libéralisation, la politique d’exportation, ainsi que les mesures de défense commerciale.
L’avis 2/15, rendu le 16 mai 2017 par la Cour de justice réunie en assemblée plénière, porte sur le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et Singapour (ci-après accord envisagé), premier des accords de libre-échange dits de nouvelle génération. Il comprend dix-sept chapitres regroupés, aux fins de l’examen de la Cour, en cinq thèmes principaux à savoir, l’accès au marché, la protection des investissements, la protection de la propriété intellectuelle, la concurrence et le développement durable.
Il convient de souligner que l’avis 2/15 ne porte que sur la nature des compétences de l’Union pour conclure l’accord envisagé (pt 30). La compatibilité des dispositions de l’accord envisagé avec le droit de l’Union ne fait pas l’objet de l’examen mené par la Cour (pt 30).
La Commission européenne a fait valoir qu’à l’exception des services de transport transfrontière et des investissements étrangers indirects, les domaines couverts par l’accord envisagé relèvent de la politique commerciale commune et donc, de la compétence exclusive de l’Union. Le Conseil a, en revanche, soutenu qu’il s’agit d’un accord mixte, dès lors que la compétence de l’Union pour la conclusion de cet accord est partagée avec les Etats membres.
Sans procéder à un exposé détaillé des appréciations de la Cour de justice dans chaque domaine couvert par l’accord, il convient de mettre l’accent sur les critères d’appréciation ayant permis à la Cour de se prononcer sur la nature exclusive ou partagée des compétences de l’Union pour conclure ce dernier. Ces critères sont les effets directs et immédiats sur les échanges entre les parties contractantes des dispositions de l’accord envisagé, d’une part et l’existence de règles communes pouvant être affectées ou altérées dans leur portée par ces dispositions, d’autre part.
En ce qui concerne les domaines que la Cour de justice a examiné sous l’angle des effets directs et immédiats sur les échanges entre l’Union et Singapour, la compétence exclusive de l’Union a été reconnue dans les domaines ‘traditionnels’ du commerce à savoir le traitement national, les obstacles techniques, les douanes, la facilitation des échanges (chapitres 2 à 6 de l’accord envisagé) et les marchés publics (chapitre 10 de l’accord envisagé). En matière de protection de la propriété intellectuelle, dès lors que les dispositions du chapitre 11 visent à faciliter la production et la commercialisation de produits innovants et créatifs, la Cour a conclu qu’elles sont susceptibles d’avoir des effets directs et immédiats sur les échanges commerciaux entre l’Union et Singapour. La compétence de l’Union est donc exclusive, en ce qui concerne les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle. Un raisonnement similaire a été suivi en matière de développement durable (chapitre 13 de l’accord envisagé). Dans ce domaine, la Cour a considéré qu’il serait « incohérent » (pt 163) de rattacher à la politique commerciale commune des dispositions libéralisant les échanges entre l’Union et Singapour, sans assurer le respect du développement durable. Les dispositions y relatives dans l’accord envisagé relèvent de la politique commerciale commune et donc de la compétence exclusive de l’Union.
Plus délicat a été l’examen de la nature de la compétence de l’Union dans le domaine des investissements, visés au chapitre 9 de l’accord envisagé. L’article 207 du traité FUE prévoit une compétence exclusive en matière d’investissements étrangers directs. Le Conseil et certains Etats membres ont fait valoir une compétence partagée, dès lors que l’objet dudit chapitre est la protection des investissements et non l’admission de ces derniers. Sur ce point, la Cour de justice a estimé que les dispositions de l’accord relatives aux investissements directs produisent des effets directs et immédiats sur les échanges et présentent un lien spécifique avec ces derniers. Dans ce domaine, la compétence de l’Union est exclusive, sans préjudice des compétences des Etats membres en matière d’ordre public, de sécurité publique, du droit de propriété, du droit pénal, du droit fiscal et de sécurité sociale (pt 100). Pour les investissements autres que directs en revanche, la Commission européenne a plaidé en faveur de l’exclusivité en soutenant que ces investissements affectent la portée de l’article 63 du traité FUE relatif à la libre circulation des capitaux, considéré par la Commission comme une ‘règle commune’ au sens de l’article 216, paragraphe 1, du traité FUE. Tout en admettant que l’Union puisse conclure des accords internationaux qui contribuent à la pleine réalisation de la libre circulation des capitaux, la Cour a souligné que, sur le plan interne, cette liberté relève du domaine des compétences partagées, au sens de l’article 4, paragraphe 2, a), du traité FUE. La compétence externe de l’Union dans ce domaine ne saurait donc être exclusive (pt 243).
S’agissant de l’exclusivité découlant de règles communes internes, il convient de distinguer deux cas de figure. Le premier est celui d’une affectation ou altération de la portée de règles communes internes, découlant des dispositions de l’accord envisagé. Sur ce point, la Cour de justice a souligné que sont couverts par de telles règles les domaines visés au chapitre 8 dudit accord, relatif aux services de transport maritime international, de transport ferroviaire, de transport par route et de transport par voie navigable. Compte tenu de l’étendue de la législation interne de l’Union dans ces domaines, la compétence externe de celle-ci a été considérée comme exclusive.
Le deuxième cas de figure est celui d’une harmonisation de règles internes prévue, en tant qu’obligation conventionnelle, dans les dispositions de l’accord envisagé. En matière de concurrence, la Cour de justice a considéré que le chapitre 10 de l’accord ne contient aucun engagement pour les parties contractantes d’harmoniser leurs législations dès lors qu’il ne concerne les accords, décisions et pratiques que dans la mesure où ils affectent le commerce entre l’Union et Singapour. La Cour a ainsi conclu que ces dispositions relèvent de la politique commerciale commune et donc de la compétence exclusive de l’Union européenne.
Les aspects institutionnels de l’accord envisagé relatifs, entre autres, au principe de transparence et au règlement des différends, sont intégrés, de manière transversale, aux dispositions de fond et font plus précisément l’objet des chapitres 13 à 17 de l’accord envisagé. Pour ces aspects, la Cour a souligné qu’ils ont un caractère auxiliaire et relèvent de la même compétence que celle dont relèvent les dispositions de fond. Partant, le mécanisme de règlement des différends pour les investissements autres que directs (chapitre 9) relève de la compétence partagée entre l’Union et les Etats membres.
L’avis 2/15 a une importance indéniable pour la conclusion des futurs accords de libre-échange dits de nouvelle génération qui seraient, au sens de cet avis, des accords mixtes. Plus généralement, l’avis 2/15 apporte quelques éclaircissements sur les domaines couverts par la politique commerciale commune et les critères d’appréciation, retenus par la Cour de justice et à retenir par la Commission et le Conseil, de l’étendue de cette politique commune et par là, des compétences externes exclusives de l’Union européenne.
Ljupcho Grozdanovski « L’avis 2/15 : les accords de libre-échange ‘nouvelle génération’ sont désormais des accords mixtes », Actualité du 29 mai 2017, www.ceje.ch.