Le 14 février 2017, dans l’avis 3/15, la Cour de justice de l’Union européenne, qui statuait en grande chambre, était interrogée, en vertu de l’article 218, paragraphe 11, du traité FUE, sur la nature de la compétence de l’Union pour conclure le traité de Marrakech sur l’accès des déficients visuels aux œuvres publiées. Ce dernier oblige les Etats contractants à prévoir une facilitation de la reproduction, de la distribution et de l’échange transfrontalier d’œuvres publiées au bénéfice des déficients visuels. Les exemplaires desdites œuvres se trouvent alors davantage accessibles. La question était de savoir si l’Union disposait d’une compétence exclusive ou d’une compétence partagée avec les Etats membres pour conclure le traité. La Cour de justice a estimé que seule l’Union était compétente, et ce, à l’exclusion des Etats membres.
Au niveau européen, la directive 2001/29 harmonise certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins. S’agissant des personnes affectées d’un handicap, il existe une faculté pour les Etats membres de prévoir des exceptions ou limitations aux droits de reproduction et de distribution. Le traité de Marrakech prévoit, quant à lui, l’obligation pour les parties contractantes de faciliter l’accès aux œuvres en leur imposant d’établir une limitation ou une exception au droit de reproduction, de distribution et de mise à disposition du public (article 4 § 1 du traité) (pt 11). Les échanges transfrontières des exemplaires en format accessible sont également envisagés par le traité.
Initialement, la Commission européenne avait proposé une décision relative à la conclusion du traité de Marrakech sur la base des articles 114 et 207 du traité FUE, considérant que ledit traité concernait non seulement l’harmonisation des législations des Etats membres mais aussi les échanges avec les pays tiers. Cette proposition n’ayant pas trouvé écho auprès du Conseil a conduit la Commission à demander l’avis de la Cour de justice quant à l’éventuelle compétence exclusive de l’Union pour conclure le traité. Le premier volet de la demande concerne le champ d’application de la politique commerciale commune, en ce compris les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle. La Commission considérait que les normes établies par le traité étaient « un moyen d’atteindre l’objectif de libéralisation des échanges internationaux » (pt 29). Certains Etats membres ont, au contraire, affirmé sur la base notamment de l’arrêt Daiichi Sankyo (aff. C-414/11) que le traité de Marrakech n’avait pas pour objet ou finalité de « libéraliser ou de promouvoir les échanges commerciaux internationaux » (pt 41), critère devant pourtant être rempli conformément à la jurisprudence la Cour de justice afin de prendre en considération l’article 207 du traité FUE comme base juridique d’un accord international en matière d’aspects commerciaux sur la propriété intellectuelle. Le second volet de la demande d’avis aborde la compétence de l’Union européenne pour conclure un accord international lorsque celui-ci est susceptible d’affecter les règles communes de l’Union ou d’en altérer la portée. Selon la Commission, dans le cas où l’article 207 du traité FUE ne pouvait être retenu comme fondement juridique, la compétence exclusive contenue à l’article 3, paragraphe 2, du traité FUE serait de mise, compte tenu de l’harmonisation effectuée au niveau de l’Union par la directive 2001/29. Les Etats membres impliqués dans la demande d’avis ont contesté ce point de vue.
S’agissant de la politique commerciale commune, la Cour a considéré, pour les exceptions au droit de reproduction et de distribution, que l’objectif du traité de Marrakech était d’améliorer « la condition des personnes bénéficiaires en facilitant, par divers moyens, au nombre desquels une circulation facilitée des exemplaires en format accessible, l’accès de ces personnes aux œuvres publiées » (pt 70). Elle excluait par conséquent l’application de l’arrêt Daiichi Sankyo en l’espèce puisque, ni dans la finalité, ni dans le contenu, le traité n’avait vocation à promouvoir les échanges internationaux. S’il n’en va pas de même pour les règles relatives à l’exportation et aux importations des exemplaires en format accessible, celles-ci constituent toutefois « un moyen pour réaliser l’objectif non commercial dudit traité », et non un but en soi. Partant, les normes prévues par le traité de Marrakech ne saurait être considérées comme relevant de la politique commerciale commune, et donc comme relevant de la compétence exclusive de l’Union européenne selon l’article 3, paragraphe 1, du traité FUE. La Cour analyse ensuite le risque de porter atteinte à des règles communes de l’Union qu’engendrerait la conclusion du traité de Marrakech. Le constat d’un tel risque existe notamment lorsque le domaine concerné par l’accord international envisagé est déjà largement couvert par des règles de l’Union. La Cour considère que les facultés octroyées aux Etats membres par le biais de la directive 2001/29 sont fortement encadrées par les exigences de droit de l’Union. En outre, la lettre de la directive diffère de celle de l’accord international envisagé, davantage contraignant. Il découlerait dès lors de la conclusion du traité de Marrakech une application des limites et exigences posées par le droit de l’Union à l’ensemble des Etats membres. Cela illustre la concordance des domaines couverts par le traité de Marrakech d’une part, et par le droit de l’Union, d’autre part. Puisque les règles de l’Union se trouveraient affectées, il y a lieu que l’Union dispose d’une compétence exclusive de conclure le traité de Marrakech.
In fine, cet avis fournit des indications quant au champ d’application de l’article 207 du traité FUE relatif à la politique commerciale commune et réitère, tout en la précisant la jurisprudence ayant trait à la notion d’ « aspects commerciaux de la propriété intellectuelle ». En s’inscrivant dans la ligne de l’avis 1/13, auquel il est fait référence s’agissant des développements relatifs à l’article 3, paragraphe 2, du traité FUE, l’avis 3/15 constitue une illustration supplémentaire de la compétence externe exclusive de l’Union qui peut être reconnue lorsque la portée des règles de l’Union est susceptible d’être affectée ou altérée par des engagements internationaux lorsque ces derniers relèvent d’un domaine déjà couvert en grande partie par de telles règles. Il confirme ainsi la conception extensive retenue par la Cour de justice s’agissant des compétences externes exclusives de l’Union européenne.
Margaux Biermé, « Compétence exclusive de l’Union européenne pour conclure le traité de Marrakech », Actualité du 28 février 2017, disponible sur www.ceje.ch