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Les avantages fiscaux et l’accord sur la libre circulation des personnes

Mateusz Milek , 20 juin 2024

L’accord sur la libre circulation des personnes (« ALCP ») est l’un des sept accords sectoriels conclus entre la Suisse et l’Union européenne en 1999 (appelés « Bilatérales I »). Comme le précise le préambule de l’ALCP, l’objectif de cet accord est de réaliser la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne en s’appuyant sur les dispositions en application dans cette dernière. L’article 2 de cet accord établit le principe de non-discrimination en raison de la nationalité qui doit être appliqué conformément aux dispositions des annexes I, II et III de cet accord.  L’arrêt du 30 mai 2024, AB, aff. C-627/22 en est une illustration.

AB est un ressortissant allemand qui a été employé en Allemagne tout en ayant son domicile et sa résidence habituelle en Suisse. Il a exercé ses activités en télétravail depuis son domicile en Suisse ainsi que dans le cadre de déplacements professionnels en Allemagne. L’intégralité de son salaire faisait l’objet d’un impôt sur les salaires, prélevé à la source par son employeur. AB a demandé auprès de l’administration fiscale une imposition sur demande qui permet de prétendre à la déduction des frais professionnels nécessaires à l’obtention des revenus salariaux. Or, l’administration fiscale a refusé l’imposition sur demande au motif que celle-ci était limitée aux travailleurs ayant leur domicile ou leur résidence habituelle dans un Etat membre de l’Union ou dans un Etat partie à l’accord EEE. AB a contesté cette décision devant une juridiction allemande qui a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne sur l’interprétation de l’ALCP. L’arrêt de la Cour de justice a fourni des clarifications importantes sur trois aspects.

En premier lieu, la Cour de justice a exprimé des observations liminaires quant aux principes régissant l’interprétation de l’ALCP. Elle a rappelé que l’ALCP est un traité international, et doit être interprété de bonne foi, conformément à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte, et à la lumière de son objet et de son but. En outre, un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties. Pour cette raison, l’interprétation donnée des dispositions du droit de l’Union européenne relatives au marché intérieur ne peut être automatiquement transposée à l’interprétation de l’ALCP, sauf dispositions expresses à cet effet prévues par cet accord lui-même. Dans ce contexte, l’article 16, paragraphe 2, de l’ALCP prévoit que les notions de droit de l’Union européenne auquel cet accord fait référence doivent être interprétées en tenant compte de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice antérieure à la date de la signature dudit accord. Quant à la jurisprudence postérieure à cette date, en vertu de l’article 16 dudit accord détermine les implications d’une telle jurisprudence. Cela étant, la Cour de justice avait déjà jugé que même en l’absence de décision de ce comité, il y a lieu de prendre également en considération ladite jurisprudence pour autant que celle-ci ne fait que préciser ou confirmer les principes dégagés dans la jurisprudence existante à la date de la signature de l’ALCP relative aux notions de droit de l’Union, dont cet accord s’inspire.

En second lieu, la Cour de justice a analysé l’applicabilité de l’ALCP à la situation en l’espèce. Le champ d’application personnel de cet accord est défini aux articles 6 et 7 de l’annexe I de cet accord. La Cour de justice a considéré qu’en fonction des faits constatés par la juridiction de renvoi, AB est susceptible d’être considéré comme « travailleur salarié » ou « travailleur frontalier salarié » au sens de l’ALCP. L’article 6 de l’annexe I définit un travailleur salarié en tant que ressortissant d’une partie contractante qui occupe un emploi au service de l’employeur de l’Etat d’accueil. La Cour de justice en déduit que le fait que l’Etat d’accueil d’AB est également son Etat d’origine n’empêche pas l’applicabilité de l’ALCP pour autant que sa résidence soit établie en Suisse.

En dernier lieu, la Cour de justice a examiné si la mesure nationale en question contrevenait au droit à l’égalité de traitement, en ce qui concerne les avantages fiscaux, consacré à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe I de l’ALCP. La Cour de justice a jugé que le droit d’opter pour une imposition sur demande qui permet de déduire des frais professionnels constitue un avantage fiscal et introduit une différence de traitement dans la mesure où ce droit est conféré seulement aux contribuables ayant leur domicile ou leur résidence habituelle en Allemagne ainsi qu’aux contribuables non-résidents en Allemagne s’ils sont ressortissants d’un Etat membre ou d’un Etat partie à l’accord EEE. Pour la Cour de justice, aucun des arguments avancés par l’Allemagne, tels que la prévention de l’évasion fiscale ou la nécessité de garantir la cohérence fiscale ne saurait justifier une telle différence de traitement.

L’arrêt AB clarifie que le droit à l’égalité de traitement, tel que spécifié dans l’ALCP, peut être invoqué par des particuliers à l’égard de leur Etat d’origine. Même si cette interprétation peut paraître extensive, elle est la conséquence logique du sens ordinaire des dispositions de cet accord lu dans son contexte et à la lumière de son objectif. En cela, la Cour de justice confirme sa jurisprudence bien établie, selon laquelle les accords internationaux conclus par l’Union européenne doivent être interprétés conformément aux principes du droit international public. Cette ligne de jurisprudence gagne de l’importance dans le contexte actuel des négociations bilatérales entre la Suisse et l’Union européenne, dans lesquelles un rôle serait attribué à la Cour de justice de l’Union européenne dans le mécanisme de règlement des différends par le tribunal arbitral envisagé.

Reproduction autorisée avec la référence suivante : Mateusz Miłek, Les avantages fiscaux et l’accord sur la libre circulation des personnes, actualité n° 19/2024, publiée le 20 juin 2024, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch