Dans un arrêt rendu le 15 janvier 2018, le Tribunal fédéral s’est prononcé dans le cadre d’un litige portant sur l’obtention d’une autorisation de séjour de parents, ressortissants d’un Etat tiers, disposant conjointement de l’autorité parentale et du droit de garde sur un enfant en bas âge, ressortissant d’un Etat membre de l'UE.
Les parents, ressortissants boliviens, bénéficiaient de l’autorité parentale et de la garde conjointe de leur fille, ressortissante espagnole. Le premier parent avait exercé une activité lucrative pendant plus de neuf ans en Suisse. Suite à la perte de son emploi, il était au bénéfice d’indemnités journalières de l’assurance-chômage. Le second exerçait une activité occasionnelle dans l’économie domestique. Le couple percevait également une allocation familiale en faveur de leur fille, et celle-ci bénéficiait du subside de l’assurance-maladie. Sur la base de ces informations, les époux avaient déposé auprès de l’Office cantonal compétent une demande d’autorisation de séjour UE/AELE.
La question était de savoir si la fille bénéficiait d’un droit propre à l’obtention d’une autorisation de séjour UE/AELE en vertu des articles 6 et 24, annexe I, de l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), et, le cas échéant, si les parents pouvaient prétendre à une telle autorisation à titre dérivé.
Le Tribunal fédéral a d’abord dû déterminer si les parents bénéficiaient d’une autorisation de séjour à titre dérivé. Celui-ci s’est référé, conformément à l’article 16, paragraphe 2, ALCP, à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Dans un arrêt Zhu et Chen, la CJUE (anciennement CJCE) avait estimé que « la législation européenne relative au droit de séjour, et en particulier la Directive 90/364/CEE, confère un droit de séjour de durée indéterminée au ressortissant mineur en bas âge d'un Etat membre qui est couvert par une assurance maladie appropriée et qui est à la charge d'un parent, lui-même ressortissant d'un Etat tiers, dont les ressources sont suffisantes pour que le premier ne devienne pas une charge pour les finances publiques de l'Etat membre d'accueil (pt 41). Cette pratique permet en outre au parent qui a effectivement la garde de cet enfant de séjourner avec lui dans l'Etat membre d'accueil (pt 46) ».
Pour le Tribunal fédéral, le présent cas d’espèce ne diffère pas de la jurisprudence Zhu et Chen. En effet, les parents, ressortissants d’un Etat tiers, qui ont la garde de leur enfant ressortissant d’un Etat membre de l'UE, peuvent se prévaloir d’un droit dérivé pour autant qu’ils réunissent les conditions fixées aux articles 6 et 24, annexe I, ALCP (conditions de ressources financières suffisantes et de couverture maladie). Quant à la fille en bas âge, dans la mesure où ses parents bénéficient d’un droit de garde, celle-ci perdrait tout intérêt à obtenir une autorisation de séjour si leur présence faisait défaut.
Par conséquent, le Tribunal fédéral a estimé que la famille pouvait être mise au bénéfice d’une autorisation de séjour pour autant que les conditions fixées aux articles 6 et 24, annexe I, ALCP soient remplies.
En vertu de ces deux dispositions, le ressortissant d’une partie contractante n’exerçant pas d’activité économique dans le pays de résidence reçoit un titre de séjour d’une durée de cinq ans au moins, à condition qu’il prouve aux autorités nationales compétentes que celui-ci dispose pour lui-même et les membres de sa famille de moyens financiers suffisants pour ne pas devoir faire appel à l’aide sociale pendant son séjour, et d’une assurance-maladie couvrant l’ensemble des risques. L’article 24, paragraphe 2, annexe I, ALCP précise que les moyens financiers nécessaires sont réputés suffisants s’ils dépassent le montant en-dessous duquel les nationaux, eu égard à leur situation personnelle, peuvent prétendre à des prestations d’assistance. D’après le Tribunal fédéral, tel est le cas si les moyens financiers d’un citoyen suisse, dans la même situation, lui fermeraient l’accès à l’aide sociale (article 16, alinéa 1, de l’ordonnance sur l’introduction progressive de la libre circulation des personnes entre, d’une part, la Confédération suisse et, d’autre part, l’Union européenne et ses Etats membres, ainsi qu’entre les Etats membres de l’Association européenne de libre-échange (OLCP)). Enfin, il importe peu, pour apprécier la situation économique du requérant, que les moyens financiers soient générés par lui-même ou par un tiers.
S’agissant des revenus, les indemnités journalières de l’assurance-chômage doivent être prises en compte au même titre que l’allocation familiale. Quant au subside en faveur de la fille, le Tribunal fédéral a estimé qu’il s’apparentait davantage à une prestation complémentaire, ce qui l’excluait de la notion de moyens financiers.
En l’espèce, en comparant les revenus et les charges de la famille, le Tribunal fédéral est arrivé à la conclusion que le droit de séjour devait leur être accordé au sens de l’article 24, annexe I, ALCP, dans la mesure où il y avait un excédant qui écartait l’octroi à des prestations d’aide sociale.
Cet arrêt marque une nouvelle fois l’importance du droit européen nécessaire pour interpréter une législation fédérale euro-compatible.
David Trajilovic, « Un droit de séjour dérivé en faveur de parents ressortissants d’un Etat tiers ayant un droit de garde sur un enfant en bas âge ressortissant d’un Etat membre de l’UE », actualité du 5 février 2018, disponible sur www.ceje.ch