Dans un arrêt rendu le 18 janvier 2017, le Tribunal fédéral a dû trancher d’un cas portant sur l’exception de l’article 5, annexe I, de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), permettant de restreindre la libre circulation pour des motifs de sécurité et d’ordre publics. Il était question d’un couple marié, tous les deux de nationalité roumaine. Ils exploitaient ensemble, en parfaite légalité, une entreprise de transport de personnes. Dans le cadre de leur activité professionnelle, le couple effectuait régulièrement des voyages entre la Roumanie et la Suisse en compagnie de passagers également ressortissants roumains. Ces derniers venaient en Suisse pour se livrer à la mendicité, au vol ou à la pratique de la prostitution. Les époux avaient d’ailleurs connaissance des intentions délictuelles de leurs voyageurs.
Dans le recours formé devant le Tribunal fédéral, le Ministère public avait invoqué une violation de l’article 116, al. 1, lettre a et al. 3, lettre a, de la loi fédérale sur les étrangers (LEtr). Selon lui, les passagers étaient entrés de manière illégale sur le territoire. Ils ne disposaient d’aucun moyen de subsistance légal et venaient en Suisse dans le but de commettre des infractions.
S’agissant de l’argument des moyens de subsistance légaux, le Tribunal fédéral a confirmé, en premier lieu, que l’ALCP était applicable, puisque les époux et les voyageurs étaient tous ressortissants roumains. Ils ont donc la nationalité d’un Etat partie à l’ALCP depuis l’entrée en vigueur, le 1er juin 2009, du Protocole II concernant la participation, en tant que parties contractantes, de la République de Bulgarie et de la Roumanie. Il a ensuite relevé que les voyageurs étaient sans activité lucrative et qu’ils séjournaient pour une durée de moins de 3 mois en Suisse. De ce constat, le Tribunal fédéral, en s’appuyant sur l’article 9 de l’ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA), et sur la Circulaire de l’Office fédéral des migrations concernant la mendicité et la délinquance des ressortissants des Etats membres de l’Union européenne et de l’Association européenne de libre-échange sans domicile en Suisse, a conclu que seule l’exigence d’une présentation d’une carte d’identité ou d’un passeport au cours de validité était suffisante pour séjourner en Suisse, même si les passagers ne pouvaient pas démontrer qu’ils disposaient de ressources financières suffisantes durant leur séjour.
Quant à l’argument du Ministère public relatif à la réserve d’ordre public de l’article 5, annexe I, ALCP, permettant de justifier l’interdiction d’entrée des passagers sur le territoire suisse, le Tribunal fédéral a rappelé la jurisprudence relative à la notion « d’ordre public », selon laquelle il doit exister une menace réelle et une certaine gravité affectant un intérêt fondamental de la société. Une mise en balance doit être effectuée entre les intérêts à la sauvegarde de l’ordre public et les intérêts à la limitation de la libre circulation des personnes.
En l’espèce, la menace à l’ordre public était hypothétique, bien que les époux aient déclaré que les passagers venaient en Suisse pour mendier, voler ou se prostituer. En effet, d’après le Tribunal fédéral, il ne ressortait ni de l’acte d’accusation, ni du dossier que les personnes transportées auraient fait l’objet de condamnation pénale.
Par conséquent, il n’existait aucune menace réelle et d’une certaine gravité affectant la société permettant de justifier l’interdiction d’entrée sur le territoire des passagers roumains. En conclusion, ces derniers pouvaient entrer sur le territoire suisse de plein droit et sans autre formalité.
David Trajilovic « ALCP : l’interdiction d’entrée sur le territoire pour des motifs d’ordre public n’est pas admissible même si des infractions peuvent être commises avec un haut degré de prévisibilité », actualité du 29 mai 2017, disponible sur www.ceje.ch