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L’exigence de clarté des allégations de la Commission européenne dans la lettre de mise en demeure

Sara Notario , 30 mars 2023

Le 16 mars 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a déclaré irrecevable le recours en double manquement – le premier en matière de pollution atmosphérique - introduit par la Commission européenne dans l’affaire Commission contre Bulgarie (C-174/21).

La directive 2008/50, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe (« directive sur la qualité de l’air ») fixe des limites de concentration de certains polluants atmosphériques dans l’air ambiant et prévoit, en cas de dépassement de ces valeurs, que les États membres adoptent des plans relatifs à l’amélioration de la qualité de l’air.

Dans l’affaire Commission contre Bulgarie (C-488/15) rendue le 5 avril 2017, la Cour de justice a jugé que la Bulgarie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 13, paragraphe 1 (« valeurs limites et seuils d’alerte pour la protection de la santé humaine ») et de l’article 23 (« plans relatifs à la qualité de l’air ») de la directive du fait qu’elle a dépassé les valeurs limites fixées dans la directive et qu’elle n’a pas adopté de plans visant à mettre fin au dépassement de ces valeurs.

Estimant que les mesures prises pour se conformer à l’arrêt du 5 avril 2017 étaient insuffisantes, la Commission européenne a adressé à la Bulgarie une lettre de mise en demeure le 9 novembre 2018. S’appuyant sur les informations fournies par cet État relatives à l’exécution dudit arrêt, la Commission a considéré que le dépassement des valeurs limites annuelles et journalières a persisté pendant les années 2015 et 2016, que la Bulgarie n’a pas présenté de nouveaux plans d’amélioration et que, si des mesures ont été prises à l’échelle nationale, aucune de ces mesures n’a encore été mise en œuvre. En réponse à cette lettre, la Bulgarie a indiqué que les valeurs limites avaient été dépassées en 2017 mais que la situation était en cours d’amélioration. En vertu de l’article 260, paragraphe 2, TFUE, la Commission européenne a néanmoins décidé d’introduire un recours en constatation de double manquement contre cet État en demandant le paiement d’une somme forfaitaire et d’une astreinte journalière jusqu’à l’exécution de l’arrêt du 5 avril 2017.

Dans ses observations, le gouvernement bulgare a fait valoir que le recours est irrecevable. Soutenu par la Pologne, il a considéré que la procédure entamée par la Commission européenne est entachée d’irrégularités dont le fait que la lettre de mise en demeure du 9 novembre 2018 n’allègue pas un manquement concernant le dépassement des valeurs depuis l’arrêt du 5 avril 2017 mais uniquement un dépassement survenu pendant les années 2015 et 2016. Par conséquent, selon lui, la Commission a ouvert prématurément la phase précontentieuse en méconnaissant le principe de sécurité juridique.

La Commission européenne a, quant à elle, invoqué que les valeurs limites pour certains polluants continuent à être dépassées en Bulgarie depuis le prononcé de l’arrêt de 2017. La Cour de justice avait déjà constaté dans cet arrêt le « dépassement systématique et persistant » des valeurs limites. D’ailleurs, l’argument selon lequel la Commission européenne aurait dû attendre plusieurs années après le prononcé de l’arrêt avant de pouvoir en demander l’exécution serait erroné et ne découlait pas du principe de sécurité juridique.

Dans son appréciation, la Cour de justice rappelle que l’exécution d’un arrêt en manquement doit être « entamée immédiatement après le prononcé de cet arrêt et aboutir dans des délais aussi brefs que possibles » (pt 23). Dans ce cadre, la Commission européenne est censée vérifier si l’arrêt en question a été exécuté entre-temps ainsi qu’établir de manière suffisamment claire dans la lettre de mise en demeure que l’arrêt n’aura toujours pas été exécuté à la date de référence fixée dans ladite lettre (pt 26).

Comme il est souligné par l’Avocate générale Kokott dans ses conclusions, « le dépassement des valeurs limites pendant les années 2015 et 2016 ne signifie pas automatiquement que la République de Bulgarie n’a pas exécuté l’arrêt du 5 avril 2017. […] [l]’obligation d’exécution prévue à l’article 260, paragraphe 1, TFUE ne naît qu’à compter de cet arrêt et porte sur la période postérieure à celui-ci » (pt 33, conclusions). Il n’en demeure pas moins que le respect des formalités substantielles dans la phase précontentieuse est important. Si l’omission d’un élément déterminant dans la lettre de mise en demeure survenait dans le cadre du recours en premier manquement régi par l’article 258 TFUE, elle représenterait « un vice de procédure grave » (pt 35, conclusions). Une telle omission entraîne des conséquences juridiques d’autant plus importantes dans le cadre de la procédure visée à l’article 260, paragraphe 2, TFUE en raison de la possibilité d’infliger des sanctions pécuniaires à l’État défaillant.

La Cour de justice suit le raisonnement de l’Avocate générale Kokott en ce qui concerne le manque de clarté dans la lettre de mise en demeure du 9 novembre 2018 - le dépassement des valeurs depuis le prononcé de l’arrêt du 5 avril 2017 n’étant pas couvert par cette lettre. La Cour de justice conclut que la Commission européenne n’a pas valablement allégué le manquement de la Bulgarie et rejette le recours comme irrecevable.

Dans cet arrêt, la Cour de justice a fourni des clarifications relatives aux formalités substantielles relatives à la phase précontentieuse du recours en manquement – dont un des buts est celui de permettre à l’ État concerné de faire valoir son droit de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission (C-293/85, pt 13 ; C-473/93, pt 19). Saisie pour la première fois d’un recours en double manquement en matière de pollution atmosphérique, la Cour a précisé que l’inobservation des exigences de clarté dans la lettre de mise en demeure peut entraîner l’irrecevabilité du recours intenté.

Reproduction autorisée avec la référence suivante : Sara Notario, L’exigence de clarté des allégations de la Commission européenne dans la lettre de mise en demeure, actualité n˚ 12/2023, publiée le 30 mars 2023, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch