Après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’article 50 du traité UE consacre le droit de retrait de l’Union européenne et prévoit la procédure y relative. Au sens du paragraphe 2 de cet article, l’Etat membre concerné doit, d’abord, notifier son intention au Conseil européen et ensuite, négocier et conclure avec le Conseil l’accord de sortie, conformément à l’article 218, paragraphe 3, du traité FUE. Aux termes de l’article 50, paragraphe 3, du traité UE, les traités cessent d’être applicables à l’Etat membre concerné, soit à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait soit, à défaut d’un tel accord, deux ans après la notification de l’intention de retrait, communiquée au Conseil européen. L’article 50 du traité UE ne fait, en revanche, aucune mention du droit de révoquer ladite notification, avant l’entrée en vigueur de l’accord de sortie ou avant que le délai de deux ans, prévu au paragraphe 3 de cet article, arrive à échéance. La possibilité d’une telle révocation a fait l’objet de l’arrêt Wightman e.a. (aff. C-621/18), rendu par la Cour de justice réunie en assemblée plénière le 10 décembre 2018.
Compte tenu du référendum positif du 23 juin 2016 concernant le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, le Premier Ministre britannique a notifié, le 29 mars 2017, au Conseil européen l’intention du Royaume-Uni de se retirer de l’Union. La Court of Sessions écossaise a été saisie de la question de savoir si ladite notification pouvait être unilatéralement révoquée avant que le retrait ne devienne définitif. Les juges de première instance ont refusé de saisir la Cour de justice d’une demande de décision préjudicielle en interprétation, en raison du caractère hypothétique de l’éventuelle question préjudicielle et de l’empiètement, d’une telle saisine, sur la souveraineté parlementaire du Royaume-Uni. Un appel de cette décision a été interjeté devant la juridiction de renvoi qui a considéré qu’une réponse de la Cour de justice est nécessaire pour clarifier les options dont disposent les membres de la Chambre des Communes, lorsqu’ils se prononcent sur l’éventuel accord de sortie du Royaume-Uni de l’Union. La Cour a donc été saisie d’une question préjudicielle portant, en substance, sur la possibilité, pour un Etat membre, de révoquer unilatéralement la notification de son intention de retrait de l’Union, communiquée au Conseil européen conformément à l’article 50, paragraphe 2, du traité UE.
Sur le point de la recevabilité, le gouvernement britannique a soutenu que la question préjudicielle est irrecevable en raison de son caractère hypothétique et académique. Ce caractère serait confirmé par l’absence de projet d’acte de révocation de la notification communiquée au Conseil européen, ainsi que par l’absence de litige dans l’affaire au principal. Par sa saisine de la Cour de justice, la juridiction de renvoi viserait à obtenir un avis consultatif sur une question d’ordre constitutionnel et non une réponse utile pour la résolution d’un litige concret. La Cour de justice a, toutefois, considéré que le fait que l’action au principal revêt un caractère déclaratoire ne fait pas obstacle à ce qu’elle statue sur une question préjudicielle, dès lors que cette action est autorisée par le droit national et que la Cour est appelée à répondre à un besoin objectif pour la solution du litige au principal (pt 31).
Sur le fond de la question préjudicielle, après avoir souligné la nature constitutionnelle des traités fondateurs et le caractère autonome de l’ordre juridique de l’Union européenne (pts 44-45), la Cour de justice a observé que l’article 50 du traité UE ni autorise, ni interdit expressément le droit de révocation de la notification d’une intention de retrait de l’Union (pt 48). Selon la Cour, une intention, au sens dudit article, ne serait, par nature, ni définitive ni irrévocable (pt 49). Tout Etat membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union. La décision de retrait relève ainsi de la seule volonté de l’Etat membre concerné et « dépend de son seul choix souverain » (pt 50). En l’absence de disposition expresse dans l’article 50 du traité UE en ce qui concerne le droit de révocation de l’intention de retrait, la Cour a considéré que l’exercice de ce droit doit être admis dans la mesure où cet exercice résulte, lui aussi, d’une décision souveraine de l’Etat membre concerné (pt 59).
Si un droit de révocation ne devait pas être reconnu, l’Etat membre concerné pourrait être contraint de quitter l’Union contre sa volonté (pt 66). Un tel résultat serait, selon la Cour, contraire à l’objectif inscrit dans les traités visant l’établissement d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe (pt 67).
La Cour de justice a donc conclu qu’un Etat membre qui revient sur sa décision de se retirer de l’Union est en droit de révoquer la notification de son intention de retrait, tant qu’un accord de retrait n’est pas entré en vigueur ou, à défaut d’un tel accord, tant que le délai de deux ans, prévu à l’article 50, paragraphe 3 du traité UE, n’est pas arrivé à échéance (pt 69).
Ljupcho Grozdanovski, "Le Royaume-Uni est en droit de révoquer la notification de son intention de retrait de l'Union européenne", actualité du 17 décembre 2018, ww.ceje.ch.