Dans l’affaire Bank Refah Kargaran c. Conseil (aff. C-134/19 P), la Cour de justice de l’Union européenne a examiné le pourvoi demandant l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 10 décembre 2018, Bank Refah Kargaran c. Conseil (aff. T‑552/15). Le Tribunal avait rejeté le recours fondé sur l’article 268 TFUE, qui tendait à obtenir réparation des préjudices que la banque aurait subis en raison de l’adoption de mesures restrictives à son égard.
La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives instaurées en vue de faire pression sur la République islamique d’Iran afin que cette dernière mette fin aux activités nucléaires présentant un risque de prolifération. A cet effet, les fonds et les ressources économiques de la requérante ont été gelés entre 2010 et 2011. Ce gel de fonds a été opéré par l’inscription de ladite banque sur la liste des entités concourant à la prolifération nucléaire, annexée à différentes décisions adoptées par le Conseil dans le cadre de la PESC. Ces décisions PESC ont, par la suite, été mises en œuvre par différents règlements adoptés par le Conseil sur la base de l’article 215 TFUE.
La requérante a introduit un recours en 2015 tendant à obtenir la condamnation de l’Union européenne à l’indemnisation des préjudices résultant de l’adoption et du maintien des mesures restrictives la concernant. Par son arrêt du 10 décembre 2018, le Tribunal a, d’une part, décliné sa compétence pour connaître d’un recours en indemnité tendant à la réparation du préjudice prétendument subi en raison de l’adoption de décisions PESC au titre de l’article 29 TUE. D’autre part, dans la mesure où le recours en indemnité tendait à la réparation du préjudice prétendument subi en raison de l’adoption de règlements sur la base de l’article 215 TFUE, le Tribunal l’a rejeté comme non fondé, au motif qu’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit n’avait pas été établie.
Saisie sur pourvoi, la Cour de justice a examiné, en premier lieu, la question de la compétence du juge de l’Union pour connaître d’un recours en indemnité visant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi en raison de mesures restrictives, dans la mesure où une telle question est d’ordre public. La Cour de justice a souligné que le recours en indemnité, en s’insérant dans un système d’ensemble de protection juridictionnelle répondant à des exigences constitutionnelles, contribue au caractère effectif de cette protection. En l’occurrence, la Cour a relevé que, en dépit du lien établi entre les règlements adoptés sur la base de l’article 215 TFUE et les décisions PESC adoptées au titre de l’article 29 TUE, les mesures restrictives adoptées dans de tels actes ne coïncident pas nécessairement. Par conséquent, une lacune dans la protection juridictionnelle pourrait résulter de l’incompétence du juge de l’Union pour connaître d’un recours en indemnité portant sur des mesures restrictives prévues par des décisions PESC. Dans ces conditions, le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant qu’un recours en indemnité tendant à la réparation du préjudice prétendument subi par une personne physique ou morale en raison de mesures restrictives prévues par des décisions PESC échappait à sa compétence.
La Cour de justice a examiné, en deuxième lieu, le bien-fondé du recours en indemnité. Le Tribunal avait considéré que l’insuffisance de la motivation des actes instituant des mesures restrictives visant la requérante n’était pas en soi de nature à engager la responsabilité de l’Union. La Cour de justice a considéré correcte une telle appréciation. Elle a rappelé que l’obligation de motivation, simple formalité substantielle, doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation. Il s’ensuit que la responsabilité de l’Union peut être engagée lorsque le Conseil ne parvient pas à étayer les motifs qui sous-tendent les mesures adoptées, ce qui touche à la légalité au fond de l’acte, pourvu qu’un moyen en ce sens ait été soulevé à l’appui du recours en indemnité.
En conclusion, la Cour de justice a étendu la compétence du Tribunal aux recours en indemnité en matière de PESC pour répondre à l’exigence de cohérence du système de protection juridictionnelle de l’Union européenne. En outre, la Cour de justice a rejeté le pourvoi dans son intégralité car aucun comportement illicite susceptible d’engendrer la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne n’a été relevé. En effet, bien que la Cour de justice ait indiqué qu’une solution différente aurait pu être envisagée si le Conseil n’avait pas motivé les mesures adoptées, elle a confirmé l’interprétation du Tribunal selon laquelle l’insuffisance de motivation des actes juridiques imposant des mesures restrictives à l’encontre de la requérante n’était pas suffisamment grave.
Vincenzo ELIA, Compétence du juge de l’Union européenne et décision PESC, Actualité du CEJE n° 39/2020, disponible sur www.ceje.ch