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Le règlement Bruxelles II ter et les accords internationaux des États membres conclus avant leur adhésion à l’Union européenne

Alicja Slowik , 24 mars 2025

Dans l’arrêt Anikovi (aff. C-395/23) du 6 mars 2025, la Cour de justice a examiné la question des effets d’un accord bilatéral conclu par un État membre avant son adhésion à l’Union européenne avec un État tiers sur l’application du règlement 2019/1111 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu’à l’enlèvement international d’enfants (règlement « Bruxelles II ter »).

En l’espèce, le tribunal d’arrondissement de Sofia (Bulgarie) a été saisi d’une procédure gracieuse par deux mineures de nationalité russe en vue d’obtenir l’autorisation de vendre les parts détenues par elles sur trois biens immobiliers situés en Bulgarie. Les deux mineures avaient leur résidence habituelle en Allemagne et ont intenté la procédure gracieuse avec le consentement de leur mère. En examinant, à titre préliminaire, la question de la compétence internationale, le tribunal d’arrondissement de Sofia a relevé qu’en vertu du traité entre l’Union des républiques socialistes soviétiques et la République populaire de Bulgarie relatif à l’entraide judiciaire en matière civile, familiale et pénale, signé à Moscou le 19 février 1975 (« traité russo-bulgare »), les juridictions bulgares sont compétentes pour statuer sur la demande en cause. Cependant, il a observé que ladite demande pourrait également relever du champ d’application du règlement Bruxelles II ter. Or, l’article 7, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II ter confère la compétence en matière de responsabilité parentale aux juridictions d’un État membre où l’enfant réside habituellement. Par l’application de cette disposition, ce seraient les juridictions allemandes qui devraient connaître l’affaire en question. Le tribunal a encore relevé que le chapitre VIII du règlement Bruxelles II ter, qui régit les relations de cet acte avec d’autres instruments juridiques dont certains traités bilatéraux conclus entre des États membres de l’UE et le Saint-Siège, ne mentionne pas le traité russo-bulgare applicable dans la présente affaire.

Nourrissant des doutes sur le champ d’application du règlement Bruxelles II ter ainsi que sur son articulation avec le traité russo-bulgare qui avait été conclu avant que la Bulgarie adhère à l’Union européenne, le tribunal d’arrondissement a décidé de surseoir à statuer et de renvoyer l’affaire à la Cour de justice au titre de l’article 267 TFUE. Le tribunal d’arrondissement voulait savoir, notamment, si l’article 351 TFUE régit les relations d’un traité bilatéral conclu entre un État membre et un État tiers avant l’adhésion de cet État membre à l’Union avec le règlement Bruxelles II ter lorsqu’un tel traité n’est pas mentionné dans le chapitre VIII de ce règlement. L’article 351 TFUE stipule que les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement à la date de l’adhésion d’un État à l’Union européenne, entre un ou plusieurs États membres, d'une part, et un ou plusieurs États tiers, d'autre part, ne sont pas affectés par les dispositions des traités. Néanmoins, en cas d’incompatibilité desdites conventions avec les traités, cette disposition oblige les États membres à recourir à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées.

La Cour de justice a d’abord confirmé que l’autorisation judiciaire demandée par les deux mineures constitue une mesure prise eu égard à l’état et à la capacité de l’enfant mineur et relève ainsi du champ d’application du règlement Bruxelles II ter. Conformément à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, ce sont les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant réside habituellement au moment où la juridiction est saisie qui sont, en principe, compétentes pour délivrer une telle autorisation. En l’espèce, la compétence donc échoit aux juridictions allemandes.

La Cour de justice a ensuite examiné la question de la relation entre le règlement Bruxelles II ter et le traité russo-bulgare qui semblait donner la compétence en la matière aux juridictions bulgares ou russes. Elle a constaté que puisque le chapitre VIII du règlement Bruxelles II ter ne mentionnait pas le traité russo-bulgare, les relations entre les deux instruments sont régies par l’article 351 TFUE. En outre, le considérant 91 du règlement Bruxelles II ter réitère que pour les accords conclus par un État membre avec un ou plusieurs États tiers avant la date de son adhésion à l’Union, l’article 351 TFUE est applicable. La Cour a rappelé que l’article 351 TFUE permet des dérogations à l’application de n’importe quelle règle du droit de l’Union, qu’il s’agisse du droit primaire ou du droit dérivé. Cependant, pour que ledit article puisse s’appliquer, deux conditions doivent être réunies. Premièrement, il doit s’agir d’une convention conclue antérieurement à l’entrée en vigueur des traités de l’Union dans l’État membre concerné. Deuxièmement, il faut que l’État tiers concerné en tire des droits dont il peut exiger le respect par cet État membre.

La Cour a indiqué qu’il appartient ainsi à la juridiction de renvoi de vérifier d’abord si le traité russo-bulgare conclu par la Bulgarie avant son adhésion à l’Union contient des règles dont la Russie peut exiger le respect par cet État membre. Ensuite, la juridiction devrait vérifier s’il y a une incompatibilité entre le règlement Bruxelles II ter et le traité en question en ce que ces deux instruments juridiques ne prévoient pas le même for compétent dans les circonstances de l’espèce. A cet égard, la juridiction bulgare devrait tenir compte non seulement de l’article 7, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II ter mais aussi des autres dispositions du règlement qui révèlent la volonté du législateur de l’Union de prévoir, dans certaines situations, la compétence de juridictions autres que celles du lieu de résidence habituelle de l’enfant. Ainsi, il n’est pas exclu que la juridiction de renvoi puisse se reconnaître compétente pour statuer dans le présent litige sur la base du règlement.

La Cour de justice a relevé encore que si la juridiction de renvoi constate l’incompatibilité du traité russo-bulgare avec le règlement Bruxelles II ter, elle devrait rechercher si cette incompatibilité pourrait être évitée au moyen d’une interprétation conforme du traité russo-bulgare avec le règlement Bruxelles II ter. C’est uniquement lorsqu’une telle interprétation conforme s’avère impossible que la juridiction devra appliquer les règles du traité russo-bulgare en ignorant les dispositions du règlement Bruxelles II ter. Dans cette situation, conformément à l’article 351, deuxième alinéa TFUE, la Bulgarie serait tenue de prendre les mesures nécessaires afin d’éliminer l’incompatibilité entre les deux instruments.

Par la présente affaire la Cour de justice précise les conditions et les effets de la mise en œuvre de l’article 351 TFUE dans le contexte de l’application des traités bilatéraux en matière de coopération judiciaire conclus par un État membre avant son adhésion à l’Union européenne. Étant donné que plusieurs États membres sont encore liés par des conventions dont le contenu est semblable à celui du traité russo-bulgare applicable en l’espèce, les clarifications sur l’articulation desdites conventions avec les dispositions du règlement Bruxelles II ter s’avèrent particulièrement utiles.

Reproduction autorisée avec la référence suivante : Alicja Słowik, Le règlement Bruxelles II ter et les accords internationaux des États membres conclus avant leur adhésion à l’Union européenne, actualité n° 8/2025, publiée le 24 mars 2025, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch