Avec l’arrêt de grande chambre X (aff. C-717/18), du 3 mars 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « la Cour ») a été appelée à se prononcer au titre de l’article 267 TFUE, sur l’interprétation de l’article 2 § 2 de la décision-cadre 2002/584 du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (ci-après « la décision-cadre »).
En 2017, l’Audencia Nacional (Espagne) a condamné X pour des faits commis entre 2012 et 2013 constitutifs de l’infraction d’apologie du terrorisme et d’humiliation de ceux qui en sont les victimes, prévue à l’article 578 du code pénal et lui a infligé la peine maximale d’emprisonnement de deux ans. En 2015, la disposition nationale en cause a été modifiée et prévoit une peine d’emprisonnement d’un maximum de trois ans.
X ayant quitté l’Espagne pour la Belgique, l’Audencia Nacional a émis, en 2018, un mandat d’arrêt européen à son encontre pour infraction de terrorisme, au sens de l’article 2 § 2, de la décision-cadre, en vue de l’exécution de la peine précédemment prononcée. L’infraction en cause figure dans la liste de celles concernées par la suppression du contrôle de la double incrimination du fait.
La Cour d’appel de Gand (Belgique), saisie en appel dans le cadre de la procédure d’exécution de ce mandat d’arrêt européen, nourrit des doutes concernant la version de l’article 578 du code pénal espagnol à prendre en compte. En effet, afin de vérifier si la condition relative au seuil d’une peine privative de liberté d’un maximum d’au moins trois ans est remplie en l’espèce, il convient de savoir s’il faut appliquer la version de l’article 578 du code pénal applicable aux faits au principal ou celle en vigueur à la date d’émission du mandat d’arrêt européen.
La Cour de justice de l’Union européenne a relevé que le libellé de l’article 2 § 2, de la décision-cadre ne précise pas quelle version du droit de l’Etat membre d’émission doit être prise en considération lorsque ledit droit a connu des modifications entre la date des faits ayant donné lieu à l’affaire dans le cadre de laquelle le mandat d’arrêt européen a été émis et la date d’émission, voire d’exécution, de ce mandat d’arrêt. La circonstance que l’article 2 § 2 de la décision-cadre emploie le présent de l’indicatif ne permet pas de conclure que la version du droit de l’État membre d’émission à prendre en considération à cette fin est celle en vigueur au moment de l’émission du mandat d’arrêt européen.
S’agissant du contexte dans lequel cette disposition s’inscrit, la Cour de justice a fait observer, en outre, que l’article 2 § 1 de la décision-cadre prévoit qu’un mandat d’arrêt européen peut être émis pour des condamnations prononcées d’une durée d’au moins quatre mois. Or, ce seuil minimal ne peut que faire référence à la peine concrètement prononcée dans la décision de condamnation conformément au droit de l’État membre d’émission applicable aux faits ayant donné lieu à cette décision, et non pas à la peine qui aurait pu être prononcée en vertu du droit de cet État membre applicable à la date d’émission de ce mandat d’arrêt. Il ne saurait en aller autrement s’agissant de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen en application de l’article 2 § 2 de la décision-cadre.
En effet, l’interprétation selon laquelle l’autorité judiciaire d’exécution devrait prendre en considération le droit de l’État membre d’émission applicable à une date différente, selon que celle-ci vérifie si le mandat d’arrêt européen pouvait être émis conformément à l’article 2 §1 de cette décision-cadre, ou si ce mandat d’arrêt doit être exécuté sans contrôle de la double incrimination du fait en application de l’article 2 § 2 de ladite décision-cadre, porterait atteinte à l’application cohérente de ces deux dispositions.
Une telle interprétation de l’article 2 § 2 de la décision-cadre est corroborée par la finalité de celle-ci. Ainsi qu’il résulte du considérant 5, la décision-cadre vise à faciliter et accélérer la coopération judiciaire par l’instauration d’un nouveau système simplifié et plus efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale. Partant, l’autorité judiciaire d’exécution doit pouvoir se fonder sur les informations relatives à la durée de la peine contenues dans le mandat d’arrêt européen lui-même. Exiger de cette autorité qu’elle vérifie si le droit de l’État membre d’émission qui est applicable aux faits en cause n’a pas été modifié postérieurement à la date de ces faits, d’une part, irait à l’encontre de la finalité de la décision-cadre et, d’autre part, serait contraire au principe de sécurité juridique, compte tenu des difficultés que cette autorité pourrait rencontrer pour identifier les différentes versions éventuellement pertinentes de ce droit.
Enfin, la Cour a souligné que le fait que l’infraction en cause ne puisse pas donner lieu à remise sans contrôle de la double incrimination du fait en application de l’article 2 § 2 de la décision-cadre ne signifie pas pour autant que l’exécution du mandat d’arrêt européen doit être refusée. En effet, il incombe à l’autorité judiciaire d’exécution d’examiner le critère de la double incrimination du fait énoncé à l’article 2 § 4 de la décision-cadre au regard de cette infraction.
Vincenzo ELIA, Précision jurisprudentielle des conditions d’exécution d’un mandat d’arrêt européen, actualité du CEJE n° 9/2020, disponible sur www.ceje.ch