Dans l’arrêt Deutsche Rentenversicherung Bund (C-283/21), la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que, en vertu de l’article 21 TFUE, des périodes d’éducation d’enfants dans un autre Etat membre doivent être prises en compte pour calculer une pension pour incapacité totale de travail par l’Etat membre débiteur.
En l’espèce, une ressortissante allemande, VA, qui a été scolarisée et a effectué un stage non rémunéré pour la durée d’un an aux Pays-Bas. De 1962 à l’année 2010, elle a continué à vivre aux Pays-Bas sans exercer d’activité professionnelle rémunérée ni en Allemagne ni aux Pays-Bas. La seule exception a été l’exercice d’un emploi, considéré « mineur » en vertu du droit allemand, non assujetti à l’assurance obligatoire. En 1986 et 1989, la requérante a donné naissance à deux enfants, qui ont été élevés aux Pays-Bas et scolarisés en Allemagne. Ce n’est qu’à partir de son déménagement en Allemagne en 2010 que la requérante a commencé, à partir du mois d’octobre 2012, à exercer une activité rémunérée et verser des cotisations au régime d’assurance retraite allemand. Depuis mars 2018, VA reçoit une pension pour incapacité totale de travail de l’organisme d’assurance de retraite fédéral allemand (Deutsche Rentenversicherung Bund). Cet organisme a comptabilisé, outre les périodes de cotisation au régime d’assurance allemand, les périodes de la formation de la requérante et de l’exercice d’un emploi non assujetti à l’assurance obligatoire.
VA a formé un recours devant la juridiction allemande de première instance en faisant valoir que, dans le calcul du montant de sa pension allemande, l’organisme en cause n’a pas pris en compte les périodes d’éducation de ses enfants aux Pays-Bas (« périodes litigieuses »). Après le rejet de ce recours par la juridiction de première instance, VA a interjeté appel auprès du tribunal supérieur du contentieux social de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. En vertu de l’article 267 TFUE, le tribunal a introduit une demande de décision préjudicielle auprès de la Cour de justice de l’Union européenne. La juridiction de renvoi se demande si, en vertu de l’article 21 TFUE, l’organe national doit prendre en compte les périodes litigieuses dans le calcul d’une pension d’incapacité totale de travail. Plus spécifiquement, la juridiction de renvoi pose deux questions préjudicielles sur l’interprétation de l’article 44, paragraphe 2, du règlement CE n˚ 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) n˚ 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.
Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si l’article 44, paragraphe 2, du règlement n˚ 987/2009 doit être interprété en ce sens qu’une période d’éducation d’enfants doit être considérée comme étant prise en compte lorsque, selon le droit de l’État membre compétent, elle permet l’acquisition de droits à une pension dans cet État membre. Par référence aux conclusions de l’Avocat général Emiliou, la Cour rappelle qu’un Etat membre est tenu de prendre en compte les périodes d’éducation dans un autre Etat membre si trois conditions cumulatives, énoncées à l’article 44, paragraphe 2, du règlement, sont remplies, dont le fait que cette personne a continué à être soumise à la législation du premier Etat membre en raison de l’exercice d’une activité salariée ou non salariée sur son territoire à la date à laquelle, selon la législation de cet Etat membre, la « période d’éducation d’enfants » a commencé à être prise en compte pour l’enfant concerné. En l’espèce, ni avant ni à la date à laquelle la requérante a commencé à éduquer ses enfants, VA n’a exercé une activité salariée ou non salariée en Allemagne. Les conditions n’étant pas remplies, la Cour déclare la première question irrecevable.
Par sa seconde question, la juridiction allemande se demande si, en vertu de l’article 21 TFUE, l’organisme d’assurance retraite allemand est tenu, par application de la jurisprudence de la Cour Reichel-Albert (C-522/10), de prendre en compte les périodes litigieuses. Contrairement à la situation existante dans l’affaire susmentionnée, VA n’a pas exercé d’activité donnant lieu au versement de cotisations à l’assurance allemande avant et immédiatement après l’accomplissement des périodes d’éducation de ses enfants sur le territoire néerlandais où elle a résidé durant de nombreuses années. La Cour a toutefois confirmé que les enseignements de l’arrêt Reichel-Albert sont transposables à une situation dans laquelle le règlement en cause est applicable mais où la personne concernée ne remplit pas la condition d’exercice d’une activité salariée ou non salariée. C’est notamment ce que la Cour a pu apprécier dans l’affaire Pensionsversicherungsanstalt (Périodes d’éducation d’enfants à l’étranger) (C‑576/20) : la Cour a jugé que l’Etat débiteur est tenu de prendre en compte les périodes d’éducation d’enfants effectuées par la personne concernée dans un autre État membre, au titre de l’article 21 TFUE, lorsqu’il existe un lien suffisant entre lesdites périodes d’éducation d’enfants et les périodes d’assurance ayant un lien avec une activité professionnelle. En l’espèce, la Cour considère qu’un lien suffisant apparaît entre les périodes litigieuses et les périodes d’assurance accomplies en Allemagne par la requérante.
En conclusion, la Cour juge que, sous peine de désavantager ses ressortissants nationaux ayant fait usage de leur liberté de circulation au titre de l’article 21 TFUE, un Etat membre débiteur de la pension en cause (l’Allemagne) ne saurait exclure les périodes litigieuses au seul motif qu’elles ont été accomplies dans un autre Etat membre (les Pays-Bas, en l’espèce), en dépit du fait que cette personne n’a pas versé de cotisations dans ledit Etat membre ni avant ni immédiatement après lesdites périodes d’éducation de ses enfants.
Le présent arrêt vient enrichir la jurisprudence de la Cour de justice concernant les droits dont disposent les citoyens de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres lus à la lumière de l’objectif de coordonner au niveau européen les différents systèmes de sécurité sociale des Etats membres.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Sara Notario, Règles pour le calcul d’une pension pour incapacité totale de travail, actualité n° 9/2024, publiée le 11 mars 2024, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch