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L’octroi des prestations d’assistance sociale aux ascendants de travailleurs migrants

Alicja Slowik , 17 janvier 2024

Dans l’arrêt du 21 décembre 2023, GV contre Chief Appeals Officer et al., la Cour de justice de l’Union européenne a apporté plusieurs précisions relatives à l’octroi des avantages sociaux aux ascendants directs des travailleurs migrants sur la base de l’article 45 TFUE.

En l’espèce, GV, une ressortissante roumaine séjournait légalement en Irlande en tant qu’ascendant directe de sa fille, AC, également ressortissante roumaine. GV était financièrement dépendante de sa fille qui travaillait en Irlande depuis plusieurs années. AC a obtenu la nationalité irlandaise par voie de naturalisation. En 2017, suite à la détérioration de son état de santé, GV a demandé l’octroi de l’allocation d’invalidité sur le fondement de la loi irlandaise. L’allocation d’invalidité en question relevait d’une « prestation spéciale en espèces à caractère non contributif » au sens du règlement n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale. La demande d’assistance sociale a été rejetée au motif que GV ne disposait pas d’un droit de séjour en Irlande sur la base de la directive 2004/38/CE relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres (« directive citoyenneté »). Selon les autorités irlandaises ayant examiné la demande, suite à un éventuel versement de l’allocation d’invalidité, GV deviendrait financièrement dépendante du système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil (Irlande). Par conséquent, elle ne serait plus dépendante de sa fille et ne saurait plus bénéficier d’un droit de séjour dérivé prévu dans la directive citoyenneté.

GV a introduit un recours contre le rejet de sa demande devant la High Court qui a effectivement annulé la décision des autorités administratives. La High Court estimait que la réglementation nationale qui soumet le droit de séjour d’un membre de la famille d’un citoyen irlandais à la condition que ce membre de sa famille ne devienne pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État était incompatible avec la directive citoyenneté. Statuant sur l’appel interjeté contre le jugement de la High Court, la Court of Appeal a saisi la Cour de justice de l’Union européenne avec plusieurs questions relatives à l’accès au bénéfice d’une prestation d’assistance sociale en faveur d’un membre de la famille d’un citoyen de l’Union sous la directive citoyenneté.

Dans son jugement, la Cour de justice a d’abord rappelé que la directive 2004/38 régit uniquement les conditions d’entrée et de séjour d’un citoyen de l’Union dans les États membres autres que celui dont il a la nationalité. Depuis le moment de la naturalisation de AC, la directive n’a pas vocation à régir son droit de séjour en Irlande, et a fortiori, le droit de séjour dérivé de sa mère.  Cependant, réitérant sa jurisprudence Lounes , la Cour a observé que la situation de AC et GV ne saurait être assimilée à une situation purement interne. Cette situation devrait être analysée à la lumière des dispositions pertinentes du droit primaire. A cet égard, la Cour a souligné que pour préserver l’effet utile des droits conférés aux citoyens de l’Union à l’article 21, paragraphe 1, TFUE, il est essentiel qu’un citoyen puisse continuer à jouir de ces droits après avoir obtenu la nationalité de l’État membre d’accueil. L’article 21, paragraphe 1, TFUE trouve une expression spécifique, notamment, à l’article 45 TFUE, relatif à la liberté de circulation des travailleurs. Les questions préjudicielles devraient être ainsi comprises comme concernant « l’interprétation de l’article 45 TFUE, tel que mis en œuvre par le droit dérivé. »

La Cour a fait valoir que l’article 45, paragraphe 2, TFUE interdit toute forme de discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. S’agissant du domaine de l’octroi des avantages sociaux, cette disposition est concrétisée à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union, lequel précise que « le travailleur ressortissant d’un État membre bénéficie, sur le territoire des autres États membres dont il n’a pas la nationalité, des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux ».

La Cour a ensuite rappelé qu’en vertu de l’article 7, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive citoyenneté, lu conjointement avec l’article 2, point 2, d), les ascendants directs d’un travailleur citoyen de l’UE bénéficient d’un droit de séjour dérivé s’ils sont à charge du travailleur. Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu, notamment, à l’article 7 de celle-ci, tant qu’ils répondent aux conditions énoncées à cet article. En l’espèce, il était bien établi que la situation de dépendance entre GV et sa fille existait tant au moment où GV a rejoint sa fille en Irlande qu’au moment où elle a introduit la demande d’octroi d’allocation d’invalidité.

La Cour a précisé que la notion d’ « avantages sociaux », au sens de cet article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011, peut inclure des prestations d’assistance sociale telles que l’allocation d’invalidité. L’ascendant direct à charge du travailleur est bénéficiaire indirect de l’égalité de traitement accordée au travailleur migrant et peut se prévaloir de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011, afin d’obtenir l’allocation d’invalidité lorsque, en vertu du droit national, celle-ci est accordée directement à de tels ascendants. L’octroi de la prestation sociale dans l’État membre d’accueil n’affecte pas sa qualité d’ascendant « à charge », au sens de l’article 2, point 2, sous d), de la directive citoyenneté.

En conclusion, la Cour a jugé que le droit de l’Union s’oppose à une législation nationale en vertu de laquelle les autorités nationales peuvent rejeter l’octroi de l’assistance sociale à un ascendant direct qui est dépendant d’un travailleur citoyen de l’UE, voire de lui retirer le droit de séjour au motif que l’octroi de ladite prestation aurait pour effet que cette personne ne soit plus à la charge de ce travailleur citoyen de l’Union et devienne ainsi une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale dudit État membre.

Le raisonnement de la Cour dans l’affaire GV contre Chief Appeals Officer et al., basé sur l’application de plusieurs instruments de droit dérivé « par analogie », révèle la complémentarité entre le cadre législatif régissant la libre circulation des travailleurs et la directive citoyenneté. L’interprétation de l’article 45 TFUE à la lumière de ces instruments a permis à la Cour de rendre un jugement favorable du point de vue de la promotion de la libre circulation des travailleurs dans l’Union européenne.

 

Reproduction autorisée avec la référence suivante : Alicja Słowik, L’octroi des prestations d’assistance sociale aux ascendants de travailleurs migrants, actualité n° 1/2024, publiée le 17 janvier 2024, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch