Dans l’arrêt du 16 novembre 2023, rendu dans le cadre de l’affaire C-459/22 Commission européenne c. Pays-Bas, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré qu’en adoptant et en maintenant en vigueur la réglementation nationale concernant le transfert de capital de retraite vers un autre Etat-membre, les Pays-Bas ont manqué à l’obligation qui leur incombe en vertu de la libre circulation des travailleurs consacrée à l’article 45 TFUE.
Par son recours en manquement, la Commission européenne a considéré que certaines dispositions néerlandaises relatives aux transferts sortants de capital de retraite effectués par les travailleurs migrants sont incompatibles avec la libre circulation des travailleurs, la libre prestation de services et la libre circulation des capitaux, consacrées respectivement aux articles 45, 56 et 63 TFUE. En vertu de la réglementation nationale en cause l’organisme d’assurance retraite situé dans un autre État membre que les Pays-Bas doit constituer une garantie pour le recouvrement de l’impôt sur le transfert de la valeur des droits à pension éventuellement dû par les travailleurs qui acceptent un travail dans cet autre État membre et qui souhaitent y transférer la valeur de leurs droits à pension ou, à défaut, endosse la responsabilité d’un tel impôt.
En premier lieu, la Cour de justice a examiné la liberté de circulation applicable en l’espèce. Elle a rappelé que lorsqu’une mesure nationale se rapporte à plusieurs des libertés de circulation garanties par les traités, la Cour de justice examine la mesure en cause, en principe, au regard de l’une seulement de ces libertés s’il s’avère, au regard de l’objet de cette mesure, que les autres sont tout à fait secondaires par rapport à celle-ci et peuvent lui être rattachées. La Cour de justice a considéré que la réglementation nationale, qui vise, de manière générale, le transfert de la valeur des droits à pension acquis par des travailleurs qui se déplacent dans un autre État membre que les Pays-Bas, relève du champ d’application de la liberté de circulation des travailleurs. Bien que cette réglementation soit également susceptible d’affecter la libre prestation de services et la libre circulation des capitaux, ces libertés apparaissent, pour la Cour de justice, secondaires par rapport à la liberté de circulation des travailleurs, à laquelle elles peuvent être rattachées.
S’agissant de la restriction à la libre circulation des travailleurs, la Cour de justice a rappelé que même si la fiscalité directe relève de la compétence des Etats membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit de l’Union. Il découle de la jurisprudence constante de la Cour de justice que l’article 45 TFUE s’oppose aux mesures qui, tout en étant indistinctement applicables selon la nationalité, affectent davantage les travailleurs migrants que les travailleurs nationaux et risquent, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers. A cet égard, la Cour a considéré que la condition que l’organisme concerné fournisse une garantie pour le recouvrement de l’impôt néerlandais éventuellement dû ou, à défaut, endosse la responsabilité d’un tel impôt, impose aux organismes d’assurance retraite établis dans un autre État membre que les Pays-Bas une connaissance approfondie du système fiscal néerlandais, sans quoi il leur sera difficile d’accepter de constituer une garantie ou d’assumer la responsabilité de l’éventuel impôt dû par ces travailleurs. En revanche, un travailleur employé aux Pays-Bas ne se trouvera jamais dans une situation où l’organisme d’assurance retraite situé dans cet État refuse d’endosser la responsabilité de l’impôt dû.
Pour la Cour de justice, il ressort de ce qui précède que les travailleurs qui demandent le transfert de la valeur de leurs droits à pension entre deux organismes d’assurance retraite néerlandais ne sont, en pratique, pas confrontés au refus de constituer une garantie ou de prendre en charge la responsabilité pour l’impôt dû et, par conséquent, ne sont pas soumis à une imposition. En revanche, les travailleurs migrants qui demandent un tel transfert entre un organisme d’assurance retraite néerlandais et un organisme d’assurance retraite établi dans un autre État membre que les Pays-Bas peuvent y être confrontés et, par conséquent, être soumis à l’imposition. Cette différence de traitement est, par conséquent, susceptible d’empêcher ou de dissuader les travailleurs de quitter leur État membre d’origine pour accepter un emploi dans un autre État membre et y transférer la valeur de leurs droits à pension.
Ainsi, la réglementation nationale en cause constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs, prohibée, en principe, par l’article 45 TFUE. Par conséquent, elle ne saurait être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité, est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, aptes à garantir la réalisation de l’objectif ainsi poursuivi et est proportionnée. A cet égard, les Pays-Bas ont fait valoir que l’objectif de cette réglementation est d’assurer aux travailleurs des prestations de retraite à vie.
Sur ce dernier argument, la Cour de justice a admis que la protection sociale des travailleurs figure parmi les raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à l’exercice des libertés fondamentales reconnues par le traité. Par conséquent, la nécessité de garantir des prestations de retraite à vie peut être invoquée afin de justifier une restriction à la libre circulation des travailleurs. Cependant, la Cour de justice a jugé que la réglementation nationale en cause n’est pas propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci. S’agissant de l’aptitude de la réglementation nationale en cause de garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, la Cour de justice a jugé que cette réglementation ne permet pas en soi de prévenir le risque que le travailleur choisisse de recevoir sa pension en une seule fois et de garantir que le travailleur perçoit sa pension complémentaire de retraite de manière régulière au cours de sa retraite. Quant à la proportionnalité de la réglementation en cause, la Cour de justice a considéré qu’il est peu probable qu’un tel risque se matérialise alors que la réglementation nationale en cause s’applique de manière générale à toute situation dans laquelle un travailleur déciderait de quitter le territoire des Pays-Bas afin de trouver un emploi dans un autre État membre et d’y transférer ses droits à pension. La Cour de justice a ainsi conclu que la restriction à la libre circulation des travailleurs en cause n’est pas justifiée et, partant, que les Pays-Bas ont manqué aux obligations qui leur incombent en vertu de l’article 45 TFUE.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Mateusz Miłek, Libre circulation des travailleurs et conditions de transfert transnational de la valeur des droits à pension, actualité du CEJE n° 40/2023, 27 novembre 2023, disponible sur www.ceje.ch