Dans l’arrêt X contre Udlændinge- og Integrationsministeriet, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a fourni des clarifications concernant l’interprétation de l’article 20 TUE et de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Dans le litige au principal, X, née aux États-Unis d’une mère danoise et d’un père américain, a introduit un recours visant à annuler la décision du ministère danois de l’Immigration et de l’Intégration (ci-après, « Ministère ») de retirer sa nationalité danoise en vertu du droit interne prévoyant la perte de la nationalité à l’âge de 22 ans selon certaines conditions (article 8, paragraphe 1 de la loi danoise sur la nationalité ; circulaire sur la naturalisation numéro 10873). Le Ministère considère que cette perte est justifiée car la demande de maintien de la nationalité a été introduite après que la requérante a atteint l’âge de 22 ans (délai imparti en droit danois). De plus, X n’a jamais résidé au Danemark pour une période suffisante démontrant un lien de rattachement effectif avec cet État.
Le juge national a décidé de surseoir à statuer et a posé une question préjudicielle concernant la compatibilité de la réglementation danoise relative à la perte de la nationalité pour les personnes ne remplissant pas certaines conditions (à savoir, la naissance sur le territoire danois, le séjour ou la résidence démontrant un lien de rattachement effectif avec le pays) avec l’article 20 TUE et l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Cette question couvre notamment la situation de ressortissants de pays tiers (extra-UE) qui, en perdant la nationalité d’un État membre, perdent aussi le statut de citoyen de l’Union européenne ainsi que les droits y rattachés.
En rappelant ses arrêts Rottmann (C-135/08) et Tjebbes e.a. (C-221/17), la Cour de justice confirme que, si d’une part, les règles d’acquisition et de perte de la nationalité relèvent de la compétence des Etats membres, d’autre part, ces règles doivent être conformes au droit de l’Union, lorsqu’il s’agit de l’application de celui-ci. La Cour considère que la question de la perte de la citoyenneté de l’Union résultant de la perte de la nationalité d’un État membre pour un ressortissant né dans un pays tiers relève du champ d’application du droit de l’Union européenne.
La Cour de justice juge qu’il n’y a pas lieu d’examiner la légitimé des critères définis en droit interne (en l’espèce, la loi danoise sur la nationalité) concernant la manifestation d’un lien de rattachement effectif avec l’État. Toutefois, la Cour considère nécessaire de contrôler le respect du principe de proportionnalité dans la perte de la nationalité et du statut de citoyen de l’Union qui en découle, compte tenu des conséquences de ladite perte sur la situation de la personne en cause. Il demeure essentiel que les autorités et les juridictions nationales puissent examiner ces conséquences et, le cas échéant, permettre de conserver ou recouvrer la nationalité selon les modalités procédurales internes, en conformité avec le principe d’effectivité (cf. Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral, C-33/76; Impact, C-268/06). Les autorités nationales peuvent notamment exiger que les demandes de maintien ou recouvrement de la nationalité soient introduites dans un délai raisonnable.
La Cour de justice fournit également des indications à la juridiction de renvoi quant à ce délai. D’une part, le délai imparti en droit interne doit s’étendre raisonnablement au-delà de la date à laquelle la personne concernée atteint l’âge maximal entraînant la perte de la nationalité (22 ans dans le cas du Danemark) et, d’autre part, il ne saurait courir avant que les autorités aient dûment informé la personne concernée de la perte de la nationalité ainsi que du droit de la personne de demander le maintien ou le recouvrement ex tunc de la nationalité selon ledit délai. À défaut du respect de ces conditions, les autorités nationales sont tenues d’examiner la proportionnalité de la perte de la nationalité comportant un examen de la situation individuelle du requérant pour déterminer si cette perte aurait des conséquences disproportionnées par rapport à l’objectif poursuivi par le législateur national, au regard du droit de l’Union. Plus spécifiquement, une telle perte doit être conforme aux droits fondamentaux, en particulier au respect de la vie familiale garanti à l’article 7 de la Charte.
Dans ses conclusions, l’Avocat général Szpunar considère que les deux dispositions en cause (article 20 TUE ; article 7 Charte) s’opposent à une telle réglementation nationale. Selon l’Avocat général, un contrôle de proportionnalité des conséquences relatives à la perte de la nationalité, exercé uniquement s’il est demandé avant que la personne concernée ait atteint l’âge de 22 ans et sans pouvoir faire recouvrer ex tunc la nationalité, n’est pas suffisant pour satisfaire aux exigences découlant du droit de l’Union, tel qu’interprété dans l’arrêt Tjebbes e.a..
Contrairement à l’avocat général et à la lumière des arguments présentés, la Cour de justice considère in fine que l’article 20 TUE, lu à la lumière de l’article 7 de la Charte, ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause.
La présente affaire contribue à consolider la ligne jurisprudentielle de la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle les autorités nationales, dans l’application des règles concernant l’octroi et la perte de la nationalité - relevant des compétences des États membres – sont tenues de respecter le droit de l’Union européenne, y compris les droits fondamentaux, même si en l’espèce elle a considéré qu’il n’y avait pas de violation des exigences découlant du droit de l’Union.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Sara Notario, La perte de la nationalité d’un État membre et du statut de citoyen de l’Union européenne, actualité n° 29/2023, publiée le 11 septembre 2023, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch