Dans son arrêt récent, E. K. c. Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (C‑624/20), la Grande chambre de la Cour de justice de l’UE (la « CJUE » / la « Cour ») a eu l’occasion d’apporter plusieurs précisions concernant la nature du droit de séjour d’un ressortissant d’un pays tiers tiré de l’article 20 TFUE, notamment, aux fins de l’application de la directive 2003/109 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (« directive 2003/109 »).
En l’espèce, E.K., une ressortissante ghanéenne, mère d’un enfant de nationalité néerlandaise, a reçu un titre de séjour aux Pays-Bas en tant que membre de famille d’un citoyen de l’Union (sur le fondement de l’article 20 TFUE). En 2019, E. K. a introduit une demande auprès des autorités néerlandaises pour obtenir un permis de séjour de longue durée. Les autorités ont rejeté cette demande au motif que la femme bénéficiait d’un titre de séjour de nature temporaire ce qui exclurait l’applicabilité de la directive 2003/109 sur le séjour de longue durée. La requérante a introduit un recours contre cette décision devant le tribunal de la Haye.
Statuant sur ce litige, le juge néerlandais a décidé de saisir la CJUE pour recevoir des éclaircissements sur plusieurs questions relatives à la nature du droit de séjour dérivé tiré de l’article 20 TFUE et au champ d’application de la directive 2003/109. Plus précisément, le juge souhaitait savoir si le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers au titre de l’article 20 TFUE est de nature temporaire. La réponse à cette question était censée dissiper les doutes quant à l’applicabilité de la directive 2003/109 à la présente situation. En fait, l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive exclut de son champ d’application les ressortissants de pays tiers qui « séjournent exclusivement pour des motifs à caractère temporaire ». Si le séjour au titre de l’article 20 TFUE était qualifié de temporaire, la directive ne pourra pas s’appliquer.
Dans son jugement, la CJUE a d’abord observé que la notion de séjour « exclusivement pour des motifs à caractère temporaire » visée à l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive 2003/109, est « une notion autonome du droit de l’Union, qui doit être interprétée de manière uniforme sur le territoire de l’ensemble des États membres » (point 21). Elle a ensuite rappelé qu’un droit de séjour au titre de l’article 20 TFUE n’est accordé au ressortissant d’un pays tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union « que dans des situations très particulières » dans lesquelles le refus de l’octroi d’un tel droit obligerait le citoyen « à quitter le territoire de l’Union pris dans son ensemble, le privant ainsi de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par ce statut (point 36) ». L’octroi dudit droit est notamment conditionné par l’existence d’une « relation de dépendance » entre le ressortissant d’un pays tiers et le citoyen de l’Union (v. la récente note d’actualité du CEJE sur la notion de « relation de dépendance » ). Le droit de séjour d’un ressortissant d’un pays tiers au titre de l’article 20 TFUE devrait durer aussi longtemps que perdure la relation de dépendance. La Cour a observé que même si cette relation de dépendance tend à disparaître avec le passage du temps « elle n’a pas, en principe, vocation à être de courte durée (point 41) ». Au contraire, elle peut « s’étendre sur une période considérable » et favoriser ainsi l’ancrage d’un ressortissant d’un pays tiers dans l’État membre concerné. À cet égard, l’octroi du permis de long séjour sur la base du séjour au titre de l’article 20 TFUE serait apte à réaliser l’objectif principal de la directive 2003/109, à savoir celui de « l’intégration des ressortissants de pays tiers qui sont installés durablement dans les États membres » (point 44).
Finalement, la Cour de justice a rejeté l’argumentation de certains États membres qui soutenaient que le caractère dérivé du droit de séjour fondé sur l’article 20 TFUE ferait obstacle à la délivrance de permis de séjour de longue durée sur la base de la directive 2003/109. La Cour a souligné que la directive n’opérait aucune distinction selon que le ressortissant d’un pays tiers concerné résidait légalement dans l’UE au titre d’un droit autonome ou d’un droit dérivé. Ces constats ont amené la Grande chambre à conclure que le séjour sur la base de l’article 20 TFUE ne constitue pas un séjour pour des motifs temporaires.
Le présent arrêt contribue au renforcement du concept de citoyenneté européenne. Le caractère dérivé du droit de séjour fondé sur l’article 20 TFUE n’empêche pas les ressortissants de pays tiers d’en jouir d’une manière durable. Le citoyen européen se trouve ainsi doté d’une garantie que son proche pourra séjourner légalement dans l’État membre et l’accompagner à long terme ce qui favoriserait sans doute la stabilité des relations familiales.
Il est intéressant de noter pour autant que le raisonnement et la solution dégagés par la Cour diffèrent à plusieurs égards de ceux proposés par l’avocat général Jean Richard de la Tour. Dans ses Conclusions, l’avocat général a mis l’accent sur la spécificité du droit au séjour dérivé tiré de l’article 20 TFUE et le fait que la personne qui en bénéficie n’a pas vocation à s’installer durablement dans l’État membre (v. notamment, points 52 et s. des Conclusions). Le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers fondé sur l’article 20 TFUE constitue, aux yeux de l’avocat général, « un séjour exclusivement pour des motifs à caractère temporaire » qui fait l’objet de l’exclusion prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive 2003/109. Cette différence entre la Cour et l’avocat général quant à la nature du droit de séjour au titre de l’article 20 TFUE confirme que la règle dégagée dans le fameux arrêt Zambrano continue (et continuera) à éveiller des doutes et controverses.
Alicja Słowik, Le caractère durable du séjour du ressortissant d’un pays tiers au titre de l’article 20 TFUE, 20 septembre 2022, disponible sur www.ceje.ch