Avec l’arrêt Landkreis Südliche Weinstraße c. PF e.a. (aff. C-830/18), du 2 avril 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a interprété l’article 7, paragraphe 2, du règlement 492/2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union européenne.
PF, de nationalité allemande, réside en France avec ses parents, lesquels sont également de nationalité allemande. Il fréquente une école d’enseignement secondaire dans le Landkreis (arrondissement) Südliche Weinstraße du Land de Rhénanie-Palatinat, en Allemagne. Sa mère travaille en Allemagne.
A partir de l’année scolaire 2015-2016, le Landkreis a notifié que les frais de transport scolaire de PF ne seraient plus pris en charge, conformément aux dispositions légales en vigueur en Rhénanie-Palatinat, qui prévoient que le Landkreis ne serait tenu d’organiser le transport scolaire que pour des élèves résidant dans le Land.
L’Oberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz (tribunal administratif supérieur de Rhénanie-Palatinat, Allemagne), a demandé à la Cour de justice si l’article 7, paragraphe 2, du règlement doit être interprété en ce sens que constitue une mesure indirectement discriminatoire à l’encontre des travailleurs migrants une législation nationale qui subordonne la prise en charge du transport scolaire par un Land à une condition de résidence sur le territoire de ce Land. Dans l’affirmative, la juridiction de renvoi cherche à savoir si cette condition pourrait être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, à savoir la nécessité d’assurer l’organisation efficace du système scolaire.
La Cour de justice a affirmé qu’un ressortissant d’un Etat membre qui, tout en maintenant son emploi dans cet État, a transféré son domicile dans un autre Etat membre et exerce, depuis, son activité professionnelle en tant que travailleur frontalier peut se prévaloir du statut de « travailleur migrant » au sens du règlement et bénéficier à cet effet du principe d’égalité de traitement à l’encontre de son Etat membre d’origine. Or, les membres de la famille d’un travailleur migrant sont des bénéficiaires indirects de l’égalité de traitement que l’article 7, paragraphe 2, du règlement accorde à ce dernier.
La Cour de justice constate qu’une mesure nationale qui subordonne le remboursement des frais de transport scolaire à une condition de résidence dans le Land, est susceptible, par sa nature même, de défavoriser plus particulièrement les travailleurs frontaliers qui résident dans un autre État membre. Partant, elle constitue une discrimination indirecte, en principe prohibée par le droit de l’Union européenne.
Une telle conclusion ne saurait être remise en cause par le fait que les travailleurs nationaux, qui résident dans les autres Länder, pâtissent également de cette mesure nationale. La Cour observe, par ailleurs, que la condition en cause constitue non seulement une discrimination indirecte, mais également une entrave à la libre circulation des travailleurs en ce qu’elle est susceptible d’empêcher ou de dissuader un ressortissant d’un Etat membre de quitter son Etat d’origine pour exercer son droit à la libre circulation.
Deuxièmement, la Cour a jugé qu’une action entreprise par un Etat membre afin d’assurer un niveau élevé de formation de sa population résidente poursuit un objectif légitime susceptible de justifier une discrimination indirecte et que la poursuite d’études supérieures constitue un objectif d’intérêt général reconnu au niveau de l’Union.
Cependant, force est de constater que, d’une part, si les dispositions nationales s’inscrivent dans le cadre d’une loi relative à l’organisation du système scolaire du Land de Rhénanie-Palatinat, elles portent exclusivement sur l’organisation du transport scolaire dans ce Land. D’autre part, le fait même que la loi nationale prévoit que, si l’établissement fréquenté est situé en dehors du territoire de ce Land, les frais de transport sont pris en charge par le Landkreis ou par la ville non rattachée à un Landkreis sur le territoire duquel ou de laquelle l’élève est domicilié atteste que l’organisation du transport scolaire au niveau du Land et l’organisation du système scolaire au sein de ce Land ne sont pas nécessairement liées l’une à l’autre. Partant, il n’est pas possible de considérer que les dispositions nationales poursuivent un objectif légitime.
En tout état de cause, la condition de résidence opposée à PF ne peut être considérée comme indispensable à la planification et à l’organisation du transport scolaire dès lors que, comme la juridiction de renvoi l’a indiqué, d’autres mesures pourraient être envisagées. En particulier, pour le calcul du montant des frais de transport scolaire devant être remboursés, pourrait être pris en compte, à titre de domicile de l’élève, « le point où le trajet à vol d’oiseau entre le lieu de résidence réel et l’établissement scolaire le plus proche coupe la frontière ».
Enfin, la Cour de justice conclut que les difficultés pratiques liées à l’organisation efficace du transport scolaire au niveau régional ne constituent pas une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une mesure nationale qualifiée de discrimination indirecte.
Vincenzo ELIA, Enfants de travailleurs frontaliers et frais de transport scolaire, actualité du CEJE n° 16/2020, disponible sur www.ceje.ch