Avec l’arrêt de grande chambre SM, (aff. C-129/18), du 26 mars 2019, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « la Cour »), a été appelée à se prononcer, au titre de l’article 267 TFUE, sur l’interprétation des articles 2, point 2, sous c), 27 et 35 de la directive 2004/38/CE (ci-après « la directive ») du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.
Le litige au principal opposait SM, ressortissante algérienne, à l’Entry Clearance Officer, UK Visa Section (agent chargé d’examiner les demandes de permis d’entrée, section des visas, Royaume-Uni) au sujet du refus de ce dernier d’octroyer à SM un permis d’entrée sur le territoire du Royaume-Uni en qualité d’enfant adoptif d’un ressortissant d’un État membre de l’Espace économique européen (EEE).
Le refus a été justifié au motif que la tutelle sous le régime de la kafala algérienne n’était pas reconnue comme une adoption au sens du droit du Royaume-Uni et qu’aucune demande d’adoption internationale n’avait été formulée (§ 30).
La juridiction de renvoi a demandé à la Cour de Justice si la notion de « descendant direct » d’un citoyen de l’Union figurant à l’article 2, point 2, sous c), de la directive 2004/38 doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut un enfant qui a été placé sous la tutelle légale permanente d’un citoyen de l’Union au titre de la kafala algérienne (§ 44).
La directive ne détermine pas le sens et la portée de la notion de « descendant direct ». La Cour de justice, afin de garanti une interprétation autonome et uniforme au sein de l’Union européenne (§ 50), et s’éloignant d’une interprétation strictement littéraire des termes de la disposition (§ 51), a relevé que la notion de « descendant direct » renvoie à l’existence d’un lien de filiation en ligne directe, en l’absence duquel, un enfant ne saurait être qualifié de « descendant direct » d’un citoyen de l’Union européenne. (§ 52).
Dans l’arrêt Coman e.a., (aff. C‑673/16), du 5 juin 2018, la Cour a rappelé que l’objectif de la directive 2004/38 est de faciliter l’exercice du droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, conféré directement aux citoyens de l’Union européenne par l’article 21 § 1 TFUE (§ 18 de l’arrêt Coman).
La Cour de justice considère que la notion de « lien de filiation » doit s’entendre de manière large, de sorte à recouvrir tout lien de filiation, qu’il soit de nature biologique ou juridique. Il s’ensuit que la notion de « descendant direct » couvre toute situation déterminant un lien biologique ou juridique entre l’enfant et le citoyen de l’Union européenne concerné (§ 54). Le placement d’un enfant sous le régime de la kafala algérienne ne crée pas de lien de filiation et il ne saurait être considéré comme un « descendant direct » d’un citoyen de l’Union au sens de la directive 2004/38 (§ 56).
Une situation comme celle de l’enfant de l’affaire au principal, relève de la notion d’« autre membre de la famille » visée à l’article 3 § 2, sous a), de la directive 2004/38 (§ 57). En vertu de cette disposition les États membres favorisent l’entrée et le séjour de « tout autre membre de la famille, [...] si, dans le pays de provenance, il est à charge ou fait partie du ménage du citoyen de l’Union européenne bénéficiaire du droit de séjour à titre principal ». La Cour a retenu cette disposition apte à couvrir une situation comme celle de l’enfant de l’affaire au principal.
Dans l’arrêt Rahman e.a, (aff. C-83/11), du 5 septembre 2012, la Cour de justice a établi que l’objectif de l’article 3 § 2, sous a), de la directive 2004/38 consiste à « maintenir l’unité de la famille au sens large du terme » en favorisant l’entrée et le séjour des personnes qui ne sont pas incluses dans la définition de « membre de la famille » d’un citoyen de l’Union européenne contenue à l’article 2, point 2, de ladite directive 2004/38 (§ 32 de l’arrêt Rahman). Il en découle pour les États membres l’obligation d’octroyer un certain avantage aux demandes introduites par des ressortissants d’États tiers visés à cet article, et d’assurer un examen approfondi de leur situation personnelle (§§ 21 à 23 de l’arrêt Rahman).
Si les États membres disposent d’une marge d’appréciation quant au choix des facteurs à prendre en compte dans leur loi nationale, ils sont toutefois tenus au respect des dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte »). Conformément à l’article 52 §3 de la Charte, l’article 7 de celle-ci qui reconnait le droit au respect de la vie privée et familiale, doit avoir le même sens et la même portée que l’article 8 de la CEDH. Or, dans l’arrêt Chbihi Loudoudi e.a. c. Belgique, du 16 décembre 2014, la CourEDH a établi que les relations effectives qu’un enfant placé sous un régime de kafala entretient avec son tuteur sont susceptibles de relever de la notion de vie familiale. Là où l’existence d’un lien familial se trouve établie, les pouvoirs publics doivent permettre à ce lien de se développer et accordent une protection juridique rendant possible l’intégration de l’enfant dans sa famille (§§ 78, 88 et 89 de l’arrêt Chbidi Loudoudi e.a. c. Belgique).
L’article 7 de la Charte doit être lu en combinaison avec l’obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnue à l’article 24 § 2 de celle-ci. Afin de respecter ces dispositions dans l’exercice de leur marge d’appréciation, il incombe aux autorités nationales compétentes, lors de la mise en œuvre de l’article 3 § 2, sous a), de la directive 2004/38, de procéder à une appréciation équilibrée et raisonnable de l’ensemble des circonstances de l’espèce, en tenant compte l’intérêt supérieur de l’enfant concerné. L’appréciation des autorités nationales doit prendre en compte l’âge de l’enfant, la relation effective et le degré de dépendance qu’il a instauré avec ses tuteurs, les éventuels risques concrets et individualisés que l’enfant concerné soit victime d’abus, d’exploitation ou de traite. Enfin, de tels risques ne peuvent pas être présumés au regard du fait que la procédure de placement sous le régime de la kafala algérienne est basée sur une évaluation de l’aptitude de l’adulte et de l’intérêt de l’enfant qui serait moins approfondie que la procédure menée dans l’État membre d’accueil (§§ de 67 à 70).
Une appréciation positive des conditions ci-dessus mentionnées, détermine, dans le respect de l’article 3 §2, sous a) de la directive 2004/38 et des articles 7 et 24 §2 de la Charte des droits fondamentaux, l’octroi d’un droit d’entrée et de séjour audit enfant en tant qu’autre membre de la famille de citoyens de l’Union européenne, afin de lui permettre de vivre avec ses tuteurs dans l’État membre d’accueil de ces derniers.
En guise de conclusion, l’entée et le séjour d’un mineur pris en change par un citoyen de l’Union, doit être favorisé par l’État membre de résidence de ce dernier, même si le mineur en question ne peut pas être considéré comme « descendant direct ».
Vincenzo Elia, « La notion de « descendant direct » de la directive 2004/38 », actualité du 01/04/2019, disponible sur www.ceje.ch