Avec l’arrêt de grande chambre Tjebbes e.a.,(aff. C-221/17) du 12 mars 2019, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « la Cour »), a été appelée à se prononcer, au titre de l’article 267 TFUE, sur l’interprétation des articles 20 et 21 TFUE, lus à la lumière de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte »).
Le litige au principal opposait des citoyennes néerlandaises possédant une seconde nationalité au Minister van Buitenlandse Zaken (ministre des Affaires étrangères du Pays-Bas), au sujet du refus de ce dernier d’examiner leur demande respective d’obtention d’un passeport national.
Le refus a été justifié sur la base de la Rijkswet op het Nederlanderschap (loi sur la nationalité néerlandaise, ci-après la « loi sur la nationalité »). Cette dernière prévoit la perte de la nationalité néerlandaise pour toute personne majeure possédant également une nationalité étrangère, si elle a eu, au cours de sa majorité, sa résidence principale pendant une période ininterrompue de dix ans en dehors des Pays-Bas et de l’Union européenne. Ce délai de dix ans peut cependant être interrompu dans deux hypothèses : 1) si l’intéressé a sa résidence principale aux Pays-Bas ou dans l’Union européenne pendant une période d’au moins un an (article 15 § 3) ; 2) si l’intéressé requiert la délivrance d’une déclaration relative à la possession de la nationalité néerlandaise, d’un document de voyage (passeport) ou d’une carte d’identité néerlandaise. Un nouveau délai de dix ans commence à courir à compter de la délivrance de l’une de ces pièces (article 15 § 4). Concernant les personnes mineures, la loi sur la nationalité prévoit, qu’elles perdent, en principe, la nationalité néerlandaise si les parents (mère ou père), perdent cette nationalité (article 16 § 1, sous d)).
La juridiction de renvoi demande à la Cour de Justice si les articles 20 et 21 TFUE, lus à la lumière de l’article 7 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre prévoyant, sous certaines conditions, la perte ipso iure de la nationalité de cet État membre, entraînant, par conséquent, la perte du statut de citoyen de l’Union et des droits qui y sont attachés, sans qu’il soit procédé à un examen individuel, au titre du principe de proportionnalité, des conséquences d’une telle perte sur la situation de ces personnes au regard du droit de l’Union européenne.
Du moment que les requérantes au principal n’ont pas exercé leur droit à la libre circulation à l’intérieur de l’Union, la Cour relève qu’il n’y a pas lieu de répondre à la question posée au regard de l’article 21 TFUE (§ 28).
Concernant l’article 20 TFUE, dans l’arrêt K.A. e.a.,(aff. C-82/16) du 8 mai 2018, la Cour de justice a jugé qu’il confère à toute personne ayant la nationalité d’un État membre le statut de citoyen de l’Union, lequel a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres (§ 47 de l’arrêt K.A. e.a.).
Dans l’arrêt Rottmann, (aff. C-135/08), la Cour reconnait que la définition des conditions d’acquisition et de perte de la nationalité relève de la compétence de chaque État membre. (§§ 39 et 41 de l’arrêt Rottmann). Néanmoins, dans le cas de citoyennes de l’Union européenne qui, telles les requérantes au principal, ne possèdent la nationalité que d’un seul État membre et qui, par la perte de cette nationalité, sont confrontées à la perte du statut conféré par l’article 20 TFUE ainsi que des droits y attachés relève, par sa nature et ses conséquences, du droit de l’Union. Ainsi, les États membres doivent, dans l’exercice de leur compétence en matière de nationalité, respecter le droit de l’Union (§§ 42 à 45 de l’arrêt Rottmann).
La Cour relève que le droit de l’Union européenne ne s’oppose pas, par principe, à ce que, dans des situations telles que celles visées par la loi sur la nationalité, un État membre prévoie, pour des motifs d’intérêt général, la perte de sa nationalité, quand bien même cette perte entraîne, pour la personne concernée, celle de son statut de citoyen de l’Union. (§ 39) Toutefois, la perte ipso iure de la nationalité d’un État membre serait incompatible avec le principe de proportionnalité si les règles nationales pertinentes ne permettaient, à aucun moment, un examen individuel des conséquences que comporte cette perte pour les personnes concernées au regard du droit de l’Union (§ 41) et, le cas échéant, de faire recouvrer ex tunc la nationalité à la personne concernée (§ 42).
Un tel examen exige une appréciation de la situation individuelle de la personne concernée ainsi que de celle de sa famille afin de déterminer si la perte de la nationalité de l’État membre concerné, lorsqu’elle emporte celle du statut de citoyen de l’Union, a des conséquences qui affecteraient de manière disproportionnée le développement normal de sa vie familiale et professionnelle, au regard du droit de l’Union européenne. De telles conséquences ne sauraient être hypothétiques ou éventuelles (§ 44).
Dans le cadre de cet examen, les autorités nationales compétentes ou les juridictions nationales doivent s’assurer que la perte de la nationalité soit conforme à l’article 7 de la Charte (§ 46). En outre, s’agissant de personnes mineures, l’examen comporte de prendre en compte également l’intérêt supérieur de l’enfant consacré à l’article 24 §2 de la Charte (§ 47).
En guise de conclusion, une loi nationale prévoyant la perte de la nationalité en cas d’interruption durable du lien effectif d’un citoyen avec son État membre est conforme au droit de l’Union européenne, à condition qu’un examen individuel sur les conséquences de cette perte pour les personnes concernées soit toujours possible.
Vincenzo Elia, « Conformité d’une loi nationale prévoyant la perte de la nationalité avec les dispositions sur la citoyenneté européenne », actualité du 20/03/2019, disponible sur www.ceje.ch