Dans son arrêt du 27 juin 2006 (C-540/03), la Cour a estimé que le législateur communautaire n’avait pas outrepassé les limites imposées par les droits fondamentaux en permettant aux Etats membres de déroger à certaines dispositions essentielles de la directive 2003/86 du Conseil, du 22 septembre 2003, sur le droit au regroupement familial (JO L 251 du 3.10.2003, p.12).
La directive 2003/86 fixe les conditions d’exercice du droit au regroupement familial dont disposent les ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire d’un Etat membre de l’Union européenne (à l’exception du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark auxquels la directive ne s’applique pas ; ces Etats ne participent en effet pas, en vertu de deux protocoles annexés au TUE, aux mesures adoptées par le Conseil relevant du titre IV TCE). Elle accorde aux réfugiés et aux ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis de séjour d’une durée de validité de plus d’un an le droit, à certaines conditions, de faire venir leur famille au moyen d’une procédure de regroupement familial.
Le Parlement européen a introduit un recours en annulation au sens de l’article 230 TCE au motif que certaines dispositions de la directive ne respecteraient pas les droits fondamentaux, notamment le droit au respect de la vie familiale et à la non discrimination.
Examinant en premier lieu la recevabilité du recours, la Cour rejette l’argument relatif à la nature des dispositions en cause selon lequel le recours ne serait pas dirigé contre un acte des institutions. Le fait que la directive laisse une certaine marge d’appréciation aux Etats membres et qu’elle permette une réglementation nationale dérogeant aux règles de principe qu’elle impose ne lui fait pas perdre son caractère d’acte réglementaire soumis au contrôle de la Cour. Un second argument tendant à l’irrecevabilité du recours au motif que les dispositions attaquées ne seraient pas détachables du reste de la directive est laissé en suspens par la Cour. Après avoir rappelé que l’annulation partielle d’un acte communautaire n’est possible que pour autant que les éléments dont l’annulation est demandée soient détachables du reste de l’acte et que cette condition n’est pas satisfaite lorsque l’annulation partielle aurait pour effet de modifier la substance de l’acte, la Cour estime qu’en l’espèce la vérification du caractère détachable nécessite l’examen du fond du litige. Rejetant le recours comme étant mal fondé, la Cour s’est finalement dispensée d’examiner si les dispositions attaquées étaient détachables du reste de la directive ou non (dans ses conclusions, l’Avocat général Juliane Kokott avait pour sa part plaidé l’irrecevabilité du recours, considérant que si elle annulait les articles litigieux, la Cour modifierait la substance de la directive et interviendrait dans les compétences du législateur communautaire).
En second lieu, s’agissant du fond du litige, la Cour rappelle que « les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect. A cet effet, la Cour s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les Etats membres ont coopéré ou adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière » (§35). Les instruments internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme dont la Cour a tenu compte en l’espèce pour l’application des principes généraux du droit communautaire sont, outre la CEDH, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 et la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989. La Cour souligne également l’importance, nonobstant son absence d’effet juridique obligatoire, de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, qui est d’ailleurs expressément mentionnée dans le préambule de la directive.
La première disposition contestée par le Parlement, soit l’article 4 paragraphe 1er dernier alinéa, concède aux Etats membres la faculté d’imposer une condition d’intégration aux enfants de plus de 12 ans lorsqu’ils arrivent indépendamment du reste de leur famille. La Cour juge que cette disposition ne viole pas le droit fondamental au respect de la vie familiale, l’obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant ou le principe de non-discrimination en raison de l’âge. Elle rappelle que le droit au respect de la vie familiale au sens de l’article 8 CEDH notamment fait partie des droits fondamentaux protégés dans l’ordre juridique communautaire. Ce droit impose la prise en considération de l’intérêt de l’enfant mais ne crée cependant pas de droit subjectif pour les membres d’une famille à être admis sur le territoire d’un Etat ; il laisse aux Etats une certaine marge d’appréciation lorsqu’ils examinent les demandes de regroupement familial. Ainsi, la Cour juge que la directive, à mesure qu’elle impose des obligations positives précises auxquelles correspondent des droits subjectifs clairement définis, constitue une garantie supplémentaire par rapport à la protection offerte par les instruments internationaux. La directive impose aux Etats membres de prendre dûment en considération l’intérêt supérieur de l’enfant mineur (art.5), ainsi que la nature et la solidité des liens familiaux de la personne et sa durée de résidence dans l’Etat membre ainsi que l’existence d’attaches familiales, culturelles ou sociales avec son pays d’origine (art.17) ; la possibilité de vérifier, dans certaines circonstances, que l’enfant satisfait à un critère d’intégration ne fait donc que maintenir une marge d’appréciation limitée dans l’examen de la mise en balance des intérêts en présence qui ne se distingue pas de celle reconnue par la Cour européenne des droits de l’homme dans sa jurisprudence. Selon la Cour, la limite d’âge fixée à 12 ans n’est de plus pas discriminatoire mais poursuit un objectif d’intégration, un déplacement dans un autre environnement étant en effet plus difficile pour des enfants plus âgés.
La deuxième disposition attaquée par le Parlement, soit l’article 4 paragraphe 6, concerne la faculté donnée aux Etats membres de solliciter que les demandes de regroupement familial relatives à des enfants mineurs soient introduites avant que ces derniers n’aient atteint l’âge de 15 ans. La Cour précise que cette disposition n’interdit pas aux Etats membres de prendre en considération des demandes relatives à des enfants de plus de 15 ans ni ne les autorise à ne pas le faire. Si cette disposition permet à un Etat membre de refuser que les demandes introduites par des enfants de plus de 15 ans soient soumises aux conditions générales de l’article 4 paragraphe 1, « l’Etat membre reste tenu d’examiner la demande dans l’intérêt de l’enfant et dans le souci de favoriser la vie familiale » (§88).
La troisième disposition contestée par le Parlement, l’article 8, donne aux Etats membres la possibilité de prévoir une période d’attente allant jusqu’à trois ans avant d’autoriser les membres de la famille du regroupant à le rejoindre. Alors que l’Avocat général concluait à une violation du droit communautaire au motif que l’article 8, jugé ambigu, ne tient pas suffisamment compte des cas de rigueur, la Cour considère qu’il ne fait que maintenir au profit des Etats membres une marge d’appréciation limitée compatible avec les droits fondamentaux.
Le recours du Parlement européen a par conséquent été rejeté et il appartiendra aux Etats membres d’appliquer la directive de manière conforme aux droits fondamentaux. Le caractère de minima de la directive et les nombreuses dérogations qu’elle concède, qui ont soulevé des incertitudes sur leur compatibilité aux droits fondamentaux, résultent des difficultés à trouver un consensus parmi les Etats membres sur une directive harmonisant les conditions dans lesquelles devrait être exercé le droit au regroupement familial. L’enjeu est en effet d’importance pour les Etats membres, le regroupement familial constituant l’une des principales sources d’immigration dans l’Union. Malgré la déception qu’inspire le modique standard de protection des droits de l’homme qu’elle garantit, et quand bien même elle n’atteint pas l’un des objectifs fixés par le Conseil européen de Tampere consistant à offrir aux ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des Etats Membres un ensemble de droits uniformes aussi proches que possible de ceux dont jouissent les citoyens de l’Union, la directive témoigne cependant de la préoccupation croissante du respect des droits fondamentaux au sein du système juridique de l’Union.
La Suisse n’est pas concernée par la directive sur le regroupement familial. Le régime de Schengen auquel elle est associée ne vise en effet que les séjours de courte durée jusqu’à trois mois et ne préjuge en rien de la politique d’immigration des Etats parties. De plus, l’acquis relatif au système mis en place par le règlement Dublin, que la Suisse s’est également engagée à reprendre, est strictement limité à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile et ne comprend pas les dispositions de la directive visant les réfugiés.
Reproduction autorisée avec indication : Diane Grisel, "Rejet par la Cour de justice du recours du Parlement européen contre la directive sur le droit au regroupement familial", www.ceje.ch, actualité du 7 juillet 2006.