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Travail portuaire et libertés fondamentales en droit de l’UE

Vincenzo Elia , 26 février 2021

Dans l’arrêt Katoen Natie Bulk Terminals et General Services Antwerp (aff. Jtes. C-407/19 et C-471/19), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété les articles 34, 35, 45, 49, 56, 101, 102 et 106, paragraphe 1, TFUE, les articles 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux et le principe d’égalité.

Selon la loi belge organisant le travail portuaire, ce dernier peut être effectué seulement par des ouvriers portuaires reconnus. En 2014, la Commission européenne avait alors adressé une lettre de mise en demeure à la Belgique car sa réglementation nationale relative au travail portuaire portait atteinte à la liberté d’établissement telle que garantie par l’article 49 TFUE. Suite à la mise en demeure, en 2016, la Belgique avait adopté un arrêté royal relatif à la reconnaissance des ouvriers portuaires dans les zones portuaires. Avec l’arrêté royal la Belgique a établi les modalités de mise en œuvre de la loi organisant le travail portuaire, ce qui avait conduit la Commission à clore la procédure d’infraction à son égard. 

Dans les affaires jointes sous examen, il était question de plusieurs libertés garanties par la Constitution belge et étroitement liées à plusieurs libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union, comme la liberté d’établissement et la libre prestation de services. Ainsi, le Conseil d’État belge dans la première affaire et la Cour constitutionnelle dans la seconde affaire, ont interrogé la Cour de justice sur la compatibilité des règles nationales prévoyant un régime spécial de recrutement des ouvriers portuaires avec la liberté d’établissement et la libre prestation de services. 

La réglementation belge oblige les entreprises non-résidentes souhaitant s’établir en Belgique pour y exercer des activités portuaires ou qui, sans s’y établir, souhaitent y fournir des services portuaires à faire recours seulement à des ouvriers portuaires reconnus comme tels conformément à ladite réglementation. La Cour de justice a constaté qu’une telle réglementation empêche les entreprises d’avoir recours à leur propre personnel ou de recruter d’autres ouvriers non reconnus. Dès lors, cette réglementation a pour effet de rendre moins attrayant l’établissement de ces entreprises en Belgique ou la prestation, par celles-ci, de services dans cet État membre. Cela constitue une restriction aux libertés d’établissement et de prestation de services garanties par le droit de l’Union. Néanmoins, la Cour de justice a considéré qu’une telle restriction est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général. En effet, la réglementation en cause ne saurait être considérée à elle seule comme inapte ou disproportionnée pour atteindre l’objectif visé, à savoir la garantie de la sécurité dans les zones portuaires et la prévention des accidents du travail. 

Après avoir effectué une appréciation globale du régime en cause, la Cour a jugé que la réglementation belge peut être considérée compatible avec les articles 49 et 56 TFUE, pour autant que les conditions et modalités fixées pour son application soient fondées sur des critères objectifs, non discriminatoires, connus à l’avance et permettant aux ouvriers portuaires d’autres États membres de démontrer qu’ils répondent, dans leur État d’origine, à des exigences équivalentes à celles appliquées aux ouvriers portuaires nationaux. En outre, les conditions et modalités fixées ne doivent pas établir un contingent limité d’ouvriers pouvant faire l’objet d’une reconnaissance. 

La Cour de justice a ensuite indiqué que les dispositions sur la reconnaissance des travailleurs portuaires constituent également une restriction à la libre circulation des travailleurs consacrée à l’article 45 TFUE, dans la mesure où elles sont susceptibles d’avoir un effet dissuasif envers les employeurs et les travailleurs provenant d’autres États membres. Ces dispositions prévoient la mise en place d’une commission administrative paritaire chargée d’apprécier les conditions pour qu’un travailleur puisse être reconnu comme ouvrier portuaire. Bien que la Cour de justice ait retenu que ces dispositions poursuivent un objectif légitime, elle ne les a considérés ni nécessaires ni appropriées pour atteindre l’objectif visé.    

En guise de conclusion, une loi nationale qui réserve le travail portuaire à des ouvriers reconnus comme tels peut être compatible avec le droit de l’Union si elle vise à garantir la sécurité dans les zones portuaires et la prévention des accidents du travail. Mais les dispositions sur la mise en place d’une commission administrative paritaire chargée d’apprécier les conditions pour qu’un travailleur puisse être reconnu comme ouvrier portuaire n’est ni nécessaire ni appropriée pour atteindre l’objectif visé. 

Vincenzo Elia, Travail portuaire et libertés fondamentales en droit de l’UE, actualité du CEJE n° 6/2021, disponible sur www.ceje.ch