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L’autonomie procédurale au cœur d’une nouvelle affaire en matière de remboursement de soins de santé

Diane Grisel , 19 octobre 2010

L’arrêt Elchinov rendu le 5 octobre 2010 par la Cour de justice (aff. C-173/09), dans sa composition en grande chambre, a été l’occasion de réaffirmer des principes institutionnels fondamentaux dans le contexte, à présent courant, d’une affaire en remboursement de soins de santé reçus dans un Etat membre autre que l’Etat membre d’affiliation. Le litige concerne la demande de remboursement de soins hospitaliers adressée par Monsieur Elchinov, ressortissant bulgare, à la caisse nationale d’assurance maladie bulgare (la NZOK). Atteint d’une maladie oncologique maligne de l’oeil, Monsieur Elchinov a sollicité de la NZOK la délivrance du formulaire E 112 (document permettant un traitement médical à l’étranger) afin de recevoir un traitement de pointe dans une clinique spécialisée de Berlin, ledit traitement n’étant pas pratiqué en Bulgarie. Au vu de la gravité de son état de santé, Monsieur Elchinov s’est rendu à Berlin pour y subir l’intervention prescrite avant même d’obtenir la réponse de la NZOK. Alors qu’un rapport du ministère de la santé confirmait que le traitement subi en Allemagne n’était pas fourni en Bulgarie, la NZOK a décidé de refuser la demande de remboursement. Monsieur Elchinov a contesté avec succès cette décision auprès du tribunal administratif mais, sur recours, la NZOK a obtenu l’annulation de ce jugement par la Cour suprême administrative, laquelle a jugé que l’inscription du traitement dans la loi nationale fait présumer que ces soins peuvent être dispensés par un établissement bulgare. Le tribunal administratif auquel l’affaire a été renvoyée pour nouvel examen a décidé de poser sept questions préjudicielles à la Cour de justice, dont l’une concerne un aspect procédural.

La question procédurale

Conformément au code de procédure administrative bulgare, les instructions de la Cour suprême administrative relatives à l’interprétation et à l’application de la loi ont un caractère contraignant pour le tribunal administratif auquel l’affaire est renvoyée. Or en l’espèce, le tribunal administratif chargé du réexamen du dossier de Monsieur Elchinov soupçonne les instructions données par la Cour suprême de violer le droit de l’Union. Il soumet à la Cour de justice la question de savoir si le droit de l’Union s’oppose à ce qu’une juridiction de renvoi soit liée par des appréciations juridiques effectuées par une juridiction supérieure dans l’hypothèse où elle estime que ces appréciations ne sont pas conformes au droit de l’Union. La Cour de justice répond par l’affirmative, en suivant un raisonnement en trois points. Premièrement, citant notamment l’arrêt Rheinmühlen I, elle rappelle que des dispositions procédurales liant une autorité inférieure à la motivation juridique adoptée par l’autorité supérieure n’empêchent pas l’autorité inférieure de recourir à la faculté, prévue à l’article 267 du traité FUE, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Deuxièmement, la Cour de justice souligne l’effet obligatoire de l’arrêt qu’elle rend à titre préjudiciel, lequel implique, le cas échéant, d’écarter les appréciations divergentes présentées par une autorité supérieure. Troisièmement, se référant à l’arrêt historique Simmenthal, la Cour de justice rappelle que l’obligation incombant aux juridictions nationales d’assurer le plein effet des dispositions du droit de l’Union leur impose de laisser au besoin inappliquée toute disposition nationale contraire, de leur propre autorité et sans attendre l’élimination de cette disposition conformément à la procédure législative ou constitutionnelle ordinaire. La Cour de justice est donc restée sourde aux appels lancés par l’Avocat général Villalòn dans ses conclusions, auxquelles la Cour n’a même pas fait allusion. L’Avocat général préconisait de réexaminer la jurisprudence Rheinmühlen I qu’il considère étroitement liée à des « circonstances procédurales et historiques » (§ 22) très différentes de celles prévalant à présent. L’Avocat général relève que les Etats membres ont développé des garanties pour que les juridictions de dernière instance soient sanctionnées lorsqu’elles adoptent des décisions ne respectant pas le droit de l’Union et avance qu’ « au fur et à mesure que les juridictions suprêmes commencent à répondre directement de leurs décisions contraires au droit de l’Union, le sacrifice de la sécurité juridique et de l’autonomie procédurale nationale perd de son importance afin de garantir l’efficacité du droit de l’Union » (§ 27). Soulignant également l’augmentation de la charge de travail de la Cour de justice, il conclut qu’il n’est plus nécessaire d’affecter l’autonomie procédurale des Etats membres en légitimant une juridiction inférieure à déroger à son organisation hiérarchique interne pour que l’efficacité du droit de l’Union soit préservée. L’Avocat général invoque le « degré de maturité » (§ 31) atteint par le droit de l’Union et plaide pour une interférence moindre sur l’autonomie procédurale des Etats membres. La solution préconisée par l’Avocat général ne s’appliquerait toutefois que pour les litiges en « phase - éventuelle - descendante » (§ 36), soit après l’adoption de la décision définitive et le renvoi à l’autorité inférieure. L’arrêt Rheinmühlen I resterait pleinement valable pour les litiges « en phase ascendante » (§ 37), soit les contentieux qui se trouvent dans la phase procédurale allant de l’ouverture de l’instance jusqu’à l’adoption d’une décision non susceptible de recours.

Les questions relatives au remboursement des soins obtenus en Allemagne

S’agissant des questions relatives à la prise en charge, par la NZOK, du traitement hospitalier subi à Berlin, la Cour de justice reprend des principes à présent bien établis sur l’application de l’article 22 du règlement n° 1408/71 sur la coordination des régimes de sécurité sociale (ce règlement a été abrogé postérieurement aux faits de la présente affaire et été remplacé par le règlement n° 883/2004, applicable à partir du 1er mai 2010) et des dispositions du traité sur la libre prestation de services (ancien art. 49 CE, devenu art. 56 du traité FUE). D’une part, la Cour de justice rappelle que l’exigence d’une autorisation préalable pour que des soins hospitaliers reçus sur le territoire d’un autre Etat membre soient pris en charge par l’Etat membre de résidence constitue un obstacle à la libre prestation de services, lequel est justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général (le risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale, le maintien d’un service médical et hospitalier équilibré et accessible, le maintien d’une capacité de soins ou d’une compétence médicale sur le territoire national et les préoccupations liées à la planification des infrastructures hospitalières). La Cour de justice a posé des exigences strictes encadrant les conditions d’octroi de l’autorisation préalable requise, notamment au regard du principe de proportionnalité. Ainsi, une disposition nationale qui, comme dans le cas d’espèce, exclut dans tous les cas la prise en charge des soins hospitaliers dispensés sans autorisation préalable dans un autre Etat membre n’est pas conforme au droit de l’Union : la nécessité de recevoir des soins en urgence ou la constatation du caractère illégal d’un refus d’autorisation doivent permettre d’obtenir le remboursement de soins obtenus avant la délivrance de l’autorisation. D’autre part, la Cour de justice examine les deux conditions énoncées à l’article 22 du règlement n° 1408/71 dont le cumul rend obligatoire la délivrance d’une autorisation, soit l’exigence que les soins prescrits figurent parmi les prestations prévues par la législation de l’Etat membre de résidence et l’impossibilité de recevoir ces soins dans le délai normalement nécessaire sur le territoire de cet Etat membre. A cet égard, la double présomption prévue dans la législation bulgare n’est pas conforme au droit de l’Union. En présumant que les traitements ne pouvant pas être dispensés en Bulgarie ne sont pas pris en charge par la NZOK et que, inversement, les soins pris en charge par la NZOK peuvent nécessairement être fournis sur le territoire national, la législation bulgare ne permet pas d’examiner dans chaque cas, à la suite d’un examen fondé sur des critères objectifs et non discriminatoires et en prenant en considération tous les éléments pertinents, notamment les données scientifiques disponibles, si le traitement prescrit correspond à des prestations figurant dans la législation nationale et s’il peut être dispensé en temps opportun dans l’Etat membre de résidence. Enfin, s’agissant des modalités du remboursement, la Cour de justice rappelle que l’assuré social a le droit d’obtenir le remboursement directement de l’institution compétente sur son territoire de résidence. Le montant du remboursement correspond au montant calculé conformément à la législation de l’Etat membre sur lequel les soins ont été fournis. Si ce montant est inférieur au montant du remboursement calculé selon les dispositions de l’Etat membre de résidence, un remboursement complémentaire correspondant à la différence entre ces deux sommes peut être exigé en invoquant l’article 49 CE.


Reproduction autorisée avec l'indication :Diane Grisel, www.ceje.ch, actualité du 19 octobre 2010.