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Annulation du règlement du Conseil gelant les fonds de M. Kadi

Beata Jastrzebska , 6 octobre 2008

« La Communauté est une communauté de droit en ce que ni ses Etats membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité CE ». Par le rappel de ce principe fondamental, consacré dans l’arrêt Les Verts de 1986, la Cour de justice des Communautés européennes commence l’analyse de la question cruciale soulevée dans l’affaire Kadi laquelle porte sur les rapports entre l’ordre juridique international, issu de l’Organisation des Nations unies (ONU) et l’ordre juridique communautaire et soumise à sa juridiction dans le cadre d’un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal de première instance (TPI) rendu le 21 septembre 2005.

L’affaire a pour toile de fonds un règlement communautaire pris en exécution de résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et ordonnant le gel des fonds des personnes désignées par le comité des sanctions de l’ONU comme étant associées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Talibans.

Le requérant, M. Kadi, dont les actifs financiers ont été gelés en application de l’acte précité a introduit un recours en annulation devant le TPI invoquant en premier lieu l’incompétence du Conseil de l’Union européenne à adopter le règlement en cause et, en deuxième lieu, la violation de ses droits fondamentaux, notamment le droit de propriété et le droit d’être entendu. Le 21 septembre 2005, le TPI a rejeté son recours par un arrêt controversé quant au second grief du requérant.

Confronté au problème principal de l’affaire qu’on peut qualifier de conflit d’obligations qui incombent à la Communauté : d’une part, assurer la protection des droits fondamentaux et, d’autre part, respecter les dispositions du droit international public, le TPI est parvenu à la conclusion que la Communauté était liée par les obligations résultant pour les Etats membres de la Charte de l’ONU et que ces obligations primaient toute autre obligation interne au titre du traité CE. Le TPI a affirmé qu’il ne disposait d’aucune compétence pour contrôler la légalité des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et du règlement en question au regard du standard de protection des droits fondamentaux dans l’ordre juridique communautaire - sa compétence pour contrôler les actes en question devait se limiter à l’examen de leur conformité avec le jus cogens.

Invitée à se prononcer sur la question dans le cadre du pourvoi, la Cour de justice a entièrement renversé le raisonnement du TPI faisant appel à des principes fondamentaux régissant l’ordre juridique communautaire et consacrés depuis longtemps dans sa jurisprudence. Citant les avis 1/91 et 2/94 ainsi que les arrêts Commission c. Irlande et Schmidberger, elle a rappelé en premier lieu qu’un contrôle juridictionnel de la légalité interne d’un acte communautaire au regard des droits fondamentaux constituait la garantie constitutionnelle relevant des fondements mêmes de la Communauté européenne. Elle a observé que les principes régissant l’articulation des rapports entre l’ordre juridique international issu de l’ONU et l’ordre juridique communautaire n’excluaient pas un tel contrôle. Bien que la Communauté devait exercer ses compétences dans le respect du droit international et mettre en œuvre des résolutions des Nations unies, elle disposait d’un choix des mesures pour l’introduction de ces actes dans l’ordre juridique communautaire. Cette introduction devait intervenir conformement aux principes régissant l’ordre juridique interne. Le contrôle de cette conformité devait être assuré par la Cour de justice.

En deuxième lieu, la Cour a constaté que l’exclusion d’un tel contrôle ne trouvait pas non plus son fondement dans le traité CE. Elle a souligné qu’aucune disposition de celui-ci et, en particulier l’article 307 TCE, ne pouvait pas être comprise comme autorisant une dérogation aux principes de la liberté, de la démocratie et du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacrées par l’article 6, paragraphe 1, TUE en tant que fondements de l’Union.

Enfin, la Cour a constaté que la hiérarchie des normes au sein de l’ordre juridique communautaire ne donnait pas la primauté absolue aux résolutions de l’ONU, cette primauté ne s’étendant pas au droit primaire et aux principes généraux dont font partie les droits fondamentaux.

La Cour a observé par ailleurs qu’en l’occurrence elle ne pouvait pas renoncer au contrôle de la conformité de l’acte attaqué avec les droits fondamentaux sous prétexte que les organes de l’ONU offraient une protection équivalente des droits de l’homme. La procédure de réexamen devant le comité des sanctions des Nations unies avait un caractère diplomatique et interétatique et n’offrait pas les garanties d’une protection juridictionnelle.

Sur la base de ces motifs, la Cour a conclu qu’elle était compétente pour assurer un contrôle complet des actes communautaires visant à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies.

En application de l’article 61 de son statut, la Cour a décidé de statuer définitivement sur le litige. Elle est parvenue à la conclusion que les griefs du requérant étaient fondés aussi bien quant à la violation de son droit d’être entendu que de son droit de propriété. En conséquence, elle a annulé le règlement litigieux maintenant toutefois ses effets pendant une période de trois mois pour permettre au Conseil de l’Union européenne de remédier aux violations constatées et d’éviter de mettre en péril l’efficacité des sanctions de l’ONU.

La position adoptée par la Cour de justice dans la présente affaire vient confirmer la détermination de la Communauté européenne de maintenir son ordre juridique interne indépendant, respectueux des droits fondamentaux et fidèle aux principes d’un Etat de droit dans lequel l’exercice de pouvoir est soumis au contrôle d’un organe autonome, lui-même gardien de la prééminence du droit.


Reproduction autorisée avec indication : Beata Jastrzebska, "Annulation du règlement du Conseil gelant les fonds de M. Kadi", www.ceje.ch, actualité du 6 octobre 2008.