fb-100b.png twitter-100.pnglinkedin-64.png | NEWSLETTER  |  CONTACT |

La protection des droits des travailleurs et la libre prestation des services dans l’arrêt Čepelnik

Ljupcho Grozdanovski , 20 novembre 2018

Dans l’arrêt Viking Line (aff. C-438/05), portant sur une restriction à la liberté d’établissement, la Cour de justice a reconnu que la protection des travailleurs constitue un intérêt légitime de nature à justifier une restriction à l’une des libertés fondamentales garanties par le traité. L’arrêt Čepelnik, rendu en Grande Chambre le 13 novembre 2018 (aff. C-33/17) confirme la jurisprudence Viking Line dans le domaine des services.

Čepelnik, société établie en Slovénie, a été engagée par un ressortissant autrichien (ci-après le maître d’ouvrage) afin d’effectuer des travaux de construction en Autriche. Aux fins de l’exécution de ces travaux, l’entreprise a engagé des travailleurs détachés.

Après avoir effectué des contrôles sur les chantiers, les autorités autrichiennes ont reproché à Čepelnik deux infractions administratives, au regard de la législation autrichienne en matière de protection des travailleurs. Le maître d’ouvrage s’est vu imposer la suspension des paiements et la constitution d’une caution, destinée à garantir l’amende qui pourrait être infligée à Čepelnik à l’issue de la procédure engagée suite aux contrôles. Le montant de la caution correspondit à celui du solde dû pour la finalisation des travaux.

Les juges autrichiens, saisis de l’affaire, se sont interrogés sur la compatibilité avec les traités de la réglementation autrichienne et ont posé deux questions préjudicielles à la Cour de justice. Ces questions portent, en substance, sur la compatibilité, avec la libre prestation des services, d’une réglementation nationale qui prévoit la possibilité d’ordonner à un maître d’ouvrage de suspendre les paiements et de constituer une caution dans le but de garantir une éventuelle amende qui pourrait être infligée au prestataire des services dans une procédure séparée.

Dans sa réponse, la Cour de justice a, d’abord, souligné que la directive 2006/123 ne s’applique pas dans l’affaire au principal, dès lors qu’au sens de l’article 1, paragraphe 6, de cette directive, elle ne régit pas le droit du travail. La Cour a, ensuite, examiné l’applicabilité de l’article 56 du traité FUE et a considéré qu’en effet, une réglementation telle que celle dans l’affaire au principal, constitue une restriction à la libre prestation des services, dès lors qu’elle est susceptible de dissuader tant les maîtres d’ouvrage d’un Etat membre de recourir à des prestataires de services établis dans un autre Etat membre, que ces derniers de proposer leurs services aux premiers.

Sur le point de la justification d’une telle restriction, la Cour de justice a considéré que la réglementation en cause dans l’affaire au principal répondait à des raisons impérieuses d’intérêt général telles que la protection des travailleurs et la lutte contre la fraude sociale, dès lors qu’elle visait à assurer l’effectivité des sanctions pouvant être infligées aux prestataires de services en cas d’infractions dans le domaine du droit du travail. La Cour a, toutefois, estimé que le critère de proportionnalité n’a pas été satisfait pour trois raisons. D’abord, la réglementation en cause dans l’affaire au principal prévoyait la constitution d’une caution, par un maître d’ouvrage, en tant que mesure préventive à une éventuelle sanction à l’égard du prestataire de services. Ensuite, ladite réglementation ne prévoyait pas la possibilité, pour le prestataire de services, de faire valoir ses observations sur les faits reprochés avant l’adoption de la mesure de sanction à son encontre. Enfin, le montant de la caution susceptible d’être imposée au maître d’ouvrage pouvait être fixé par les autorités compétentes, sans tenir compte des éventuels défauts de construction ou d’autres manquements dans l’exécution du contrat d’ouvrage. Ce montant pouvait donc excéder le montant normalement dû, par le maître d’ouvrage, à l’issue des travaux.

Eu égard à l’ensemble de ces éléments, la Cour de justice a conclu que la mesure en cause dans l’affaire au principal constituait une restriction non-justifiée à la libre prestation des services, au sens l’article 56 du traité FUE.

Ljupcho Grozdanovski, « La protection des droits des travailleurs et la libre prestation des services dans l’arrêt Čepelnik », actualité du 20 novembre 2018.