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L'étendue du principe d'égalité de traitement dans l’arrêt Guarnieri

Ljupcho Grozdanovski , 29 avril 2011

Vandevelde, société de droit belge, avait commandé à Guarnieri, société de droit monégasque, un certain nombre de produits pour une promotion de vente d’alcool. Lors de la livraison de ceux-ci en Belgique, Vandevelde a constaté que les marchandises sont en très mauvais état et a refusé de s’acquitter du paiement. Guarnieri a alors saisi le Tribunal de commerce de Bruxelles dans le but de contraindre sa cliente belge à payer les arriérés de factures. Cette dernière a introduit une demande reconventionnelle visant à condamner la société monégasque pour le préjudice matériel et le manque à gagner subis et a, en outre, fait valoir l’article 815 du code judiciaire belge qui prévoit la cautio judicatum solvi, une caution destinée à couvrir les frais du procès, versée par la partie au litige n’ayant pas la nationalité belge. Compte tenu du fait qu’au sens dudit article, seuls les justiciables étrangers peuvent être contraints à payer la caution, Guarnieri estime que le droit belge viole les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises du droit de l’Union européenne. Dès lors, le Tribunal de commerce de Bruxelles a posé une question préjudicielle à la Cour de justice portant sur la compatibilité de ce dernier avec les articles 34, 35 et 36 du traité FUE (aff. C-291/09 du 7 avril 2011).

Dans sa réponse, après avoir exclu l’application de l’article 35 du traité FUE, la Cour affirme que les articles 34 et 36 du traité FUE s’appliquent même si l’une des parties au litige est une société de droit monégasque. Aux termes des articles 52 du traité UE et 355 du traité FUE, la principauté de Monaco fait partie du territoire douanier de l’Union et de ce fait, les marchandises d’origine monégasque doivent être assimilées à celles provenant des Etats membres de l’Union. La Cour continue par rappeler sa jurisprudence constante selon laquelle sont interdites les mesures d’effet équivalant à une restriction quantitative à l’importation, lorsqu’en l’absence d’harmonisation, une mesure nationale affecte le commerce des marchandises entre les Etats membres de l’Union. Sur ce point, elle suit l’opinion de l’avocate générale Sharpston, et considère que la disposition belge contestée est de nature purement procédurale et n’a pas pour objet de régir  le commerce des marchandises. En outre, elle estime que l’effet de l’article 815 du code judiciaire de dissuader les acheteurs des autres Etats membres de l’Union à établir des liens commerciaux avec des ressortissants belges est trop aléatoire et éloigné de l’objet du litige dont elle est saisie. Partant, l’article 34 du traité FUE ne s’oppose pas à une disposition nationale comme l’article contesté du code judiciaire belge.

Toutefois, aux points 19 à 21 de l’arrêt, la Cour soulève le principe de non discrimination énoncé à l’article 18 du traité FUE et souligne que même si une société de droit monégasque ne saurait utilement invoquer ledit article, l’inégalité de traitement mise en place par le droit belge pourrait affecter le mouvement des ressortissants des autres Etats membres de l’Union et, dès lors, être contraire à l’article 18 du traité FUE.

Dans le contexte d’une jurisprudence constante en matière de libre circulation des marchandises, le présent arrêt est assez atypique. La Cour de justice s’est toujours montrée flexible dans son appréciation des mesures nationales de nature commerciale. Dès lors que la qualification juridique de la mesure est un moyen inopérant, la Cour a pu considérer que des dispositions de droit civil, pénal ou administratif sont susceptibles d’entraver la libre circulation des marchandises. Il semble que dans le présent arrêt, la conclusion sur l’inexistence d’une mesure d’effet équivalent a permis à la Cour de ne pas traiter le principe d’égalité de traitement dans le cadre de ladite liberté et, par conséquent, de ne pas examiner l’application de celui-ci aux marchandises monégasques, formellement assimilées à celles originaires des Etats membres de l’Union. En revanche, dans une sorte d’obiter dictum, la Cour sort du cadre du litige, tel que défini par le juge national dans sa question préjudicielle, pour affirmer que l’inégalité de traitement contenu dans l’article 815 du code judiciaire belge est susceptible d’être contraire à l’article 18 du traité FUE, disposition invocable seulement par les ressortissants des Etats membres de l’Union.


Reproduction autorisée avec l’indication: Grozdanovski Ljupcho "L'étendue du principe d'égalité de traitement dans l'arrêt Guarnieri", www.ceje.ch, actualité du 29/04/2011