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Compte rendu de la conférence du 1er décembre 2009 : "Relations Suisse-Union européenne. Transparence et concurrence fiscales. Réflexions de Bruxelles."

Nicolas Jade Bitar , 8 décembre 2009

M. Jean Russotto a donné, mardi 1er décembre 2009, jour d’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et veille du dernier Conseil ECOFIN dans le cadre de la présidence suédoise, une conférence sur le thème "Relations Suisse - Union européenne : transparence et concurrence fiscales. Réflexions de Bruxelles". M. Russotto est avocat d’affaires suisse, Associé Gérant du cabinet Steptoe & Johnson LLP à Bruxelles.

La conférence avait vocation à donner une interprétation, à titre personnel, non de la problématique générale des relations Suisse - UE dans le domaine fiscal, mais plutôt des dossiers actuellement en suspens, dans un contexte politique où le thème de gouvernance fiscale est beaucoup évoqué.

La réunion du G20 de cette année a eu des conséquences profondes sur la fiscalité à l’échelle internationale. On a pu parler de l’avènement d’un « nouvel ordre fiscal », que la Suisse comme l’Union européenne se doivent de préparer.

L’avant scène bruxelloise est actuellement en pleine ébullition, en pleine mise en place d’une réelle réforme institutionnelle, alors que des pans entiers des politiques de l’Union sont recréées par les nouveaux traités. Il y a fort à parier que les majeures orientations de l’année 2010 se feront en considération des questions fiscales. Dans le cadre de la création d’une nouvelle fiscalité européenne, il est clair que la Commission européenne agit beaucoup, souvent au-delà de ses compétences d’initiative législative.

La Suisse, pendant ce temps, est en attente. Elle ne peut prendre de décisions qu’en fonction des négociations à venir au sein de l’UE. Elle ne doit pas pour autant rester inactive, mais d’ores et déjà faire les choix idéologiques qu’elle défendra en matière de fiscalité.

Les relations entre la Suisse et l’UE sont un exemple de réussite. Elles occupent des domaines très larges, et ont été souvent éprouvées avec succès. Pourtant, le bilatéralisme n’est pas une doctrine, mais au plus un savoir-faire. Il faut garder à l’esprit que la base stable et rassurante de l’Espace économique européen est un préalable indispensable aux bilatérales, dont l’absence de réelle cohérence n’aurait pu être compensée autrement.

Pourtant, la construction européenne est perçue en Suisse, chez certains, comme un empire ayant vocation à s’écrouler, bien que le marché intérieur, les nouveaux traités, l’acquis communautaire, laissent à penser le contraire. Dès lors, il existe une tendance politique persistante, bien que minoritaire, à atténuer l’importance des relations bilatérales avec l’UE, au profit du niveau interétatique. A l’inverse, la Suisse est perçue de manière quelque peu schématique par le reste de l’Europe, comme un havre de paix encore principalement rural. Des deux cotés, cependant, on est conscient, parfois avec inquiétude, d’un destin commun.

La controverse fiscale actuelle touche à l’une des pierres angulaires des relations Suisse - UE. Le comité mixte n’ayant pu parvenir à régler ce litige, il s’en est remis à une appréciation par voie de décision de la Commission européenne. Celle-ci n’a pas non plus su trancher de manière satisfaisante, et la question sera à l’ordre du jour du Conseil ECOFIN du 2 décembre 2009. Il est désormais évident que le différend ne peut être réglé sur la base de l’application stricte du droit : l’idée est d’arriver à une trêve. En effet, si la Suisse est prête à accepter un certain nombre de modifications de sa fiscalité, l’UE doit savoir être patiente et laisser le temps d’une adaptation progressive à son partenaire. Quoiqu’il en soit, une résolution de ce dossier ferait avancer l’ensemble des négociations en cours.

Pour ce qui est de la fiscalité de l’épargne (directive 2003/48 actuelle), le Conseil fédéral suisse, suite à son déplacement à Bruxelles du 15 décembre 2008, s’est dit prêt à renégocier les accords dans le cadre de la nouvelle directive à venir. Les pourparlers ont débuté il y a deux mois à Berne et devraient aboutir en même temps que l’adoption de ladite directive, au printemps 2010. L’UE s’attend également, de son coté, à ce que la Suisse reprenne des normes dites « similaires ».

Le 13 mars 2009, la Suisse a déclaré vouloir passer au régime bancaire « d’échange d’informations à la demande ». Elle doit donc revoir l’ensemble de ses conventions bilatérales de double imposition (à ce jour, une quinzaine ont effectivement été revues), et ce notamment avec chaque Etat membre de l’Union, de manière à y inclure des dispositions reprenant les principes de l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE. Afin de coordonner l’ensemble de ces accords au contenu parfois hétérogène, il est également nécessaire de négocier un accord cadre au niveau de l’Union européenne. Par ailleurs, l’accord anti-fraude a été conclu en même temps que l’accord sur la fiscalité, afin de pouvoir lutter contre les tentatives d’évasion à la fiscalité indirecte. La Commission européenne veut introduire un volet anti-fraude dans la fiscalité directe, qui ne relève pas des compétences de l’Union. Lors du Conseil ECOFIN sera étudiée la possibilité pour les Etats membres d’établir un mandat au profit de celle-ci pour qu’elle négocie ces deux dossiers directement avec la Suisse, même s’il est probable que cela n’aboutisse pas.

La présidence suédoise aimerait faire de ce Conseil ECOFIN une grande avancée en matière fiscale. Pourtant, les risques d’atteindre un compromis et non une solution claire et nette sont très présents. L’Autriche et le Luxembourg, les deux Etats membres les moins transparents en matière fiscale seront intransigeants sur le « level playing field » (un effet intégral sur les Etats tiers tels que la Suisse) des futures directives fiscales. Un autre facteur important pour ces deux Etats est la clause de basculement de l’article 10 de l’actuelle directive fiscalité : le Luxembourg et l’Autriche ne sont pas tenus d’appliquer certaines dispositions relatives à l’échange automatique d’information pendant une période de transition qui doit s’achever en 2014, ou, le cas échéant, jusqu’au moment où l’ensemble des accords liant l’Union européenne à des Etats voisins en la matière seront entrés en vigueur..

Les principaux dossiers sur la fiscalité et la transparence sont complexes, mais la confédération suisse doit également avoir d’autres préoccupations en tête lorsqu’elle négocie avec l’UE. Le domaine de la fiscalité est souvent un milieu où l’urgence fait loi et où il est nécessaire de trouver des solutions sur le court terme. Peut être serait-il bénéfique d’envisager au plus long terme. La thèse actuelle veut que le cheminement vers la transparence soit considéré comme le seul possible. Mais qu’en est-il sur une plus longue durée ? Quoiqu’il en soit, pour l’image de la Suisse, pour ses valeurs, il est actuellement indispensable de se tourner vers la transparence fiscale. La question peu envisagée, et celle où il y aurait matière à débat, est celle de savoir comment procéder. Notamment, l’approche consistant à inscrire la transparence comme un principe constitutionnel semble excessive.

Les discussions sur le sujet de la fiscalité seront un véritable test pour l’approche bilatérale dans les relations Suisse - UE. Peut-on continuer les négociations sectorielles si sur ces questions, la Suisse devait refuser d’adapter ses principes ? Il serait évidement impossible d’espérer faire aboutir les questions relatives à la libre circulation, entre autres, si les questions fiscales n’étaient pas résolues.

En conclusion, M. Russotto s’est déclaré favorable à une attitude posée de la Suisse dans le débat actuel. L’approche nationale n’a jamais été la précipitation, mais la méticulosité. La question qui se pose aujourd’hui, celle du maintien du secret bancaire, allant de pair avec celle de l’ouverture au marché, est difficile et suscite un nombre important d’interrogations non encore abordées (celle de la rétroactivité de l’interdiction du secret bancaire en étant une). En 2001, le Conseil fédéral avait estimé que le prix de l’ouverture du marché aurait été trop lourd à payer. Aujourd’hui encore, une étude pointilleuse du bilan coûts - avantages est nécessaire.

Cependant, une certaine circonspection ne doit pas retarder les négociations. Tout retard pris pourrait coûter cher à la Suisse, qui aurait tout à perdre à conclure des accords le dos au mur. En prenant une perspective plus philosophique, la Suisse doit se demander ce qu’elle désire. Il s’agit à l’heure actuelle de prendre des décisions qui impliquent des risques conséquents. Or, la Suisse a à sa disposition des professionnels, capables de nourrir la pensée des politiciens. Ce qui serait le plus coupable serait de ne pas prendre de décision. Mais le Conseil fédéral a déjà su faire des choix douloureux par le passé.

Lien vers le communiqué de presse de la session du Conseil ECOFIN du 2 décembre 2009 (version provisoire).


Reproduction autorisée avec indication : Nicolas Jade Bitar, "Compte rendu de la conférence du 1er décembre 2009 : "Relations Suisse-Union européenne. Transparence et concurrence fiscales. Réflexions de Bruxelles", www.ceje.ch, actualité du 8 décembre 2009.