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Personne en détention et dépassement des délais dans l’exécution d’un mandat d’arrêt européen ?

Lucie Vétillard , 22 juillet 2015

Le 16 juillet 2015, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée dans le cadre d’une procédure préjudicielle d’urgence sur l’interprétation des articles 12, 15 et 17 de la décision-cadre 2002/584/JAI relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres(aff. C- 237/15 PPU). La High Court d’Irlande posait la question de savoir si ces articles devaient être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, après l’expiration des délais fixés à l’article 17 de la décision-cadre relatif à l’adoption de la décision sur l’exécution du mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire d’exécution, d’une part, adopte la décision sur l’exécution du mandat d’arrêt européen, et d’autre part, maintienne la personne recherchée en détention alors que la durée totale de la période de détention de cette personne excède lesdits délais.

Le litige au principal concernait M. Lanigan à l’encontre duquel le juge pénal irlandais avait émis un mandat d’arrêt européen en 2012, contresigné par la High Court en 2013, en raison de poursuites pénales dont il avait fait l’objet au Royaume-Uni pour des faits d’homicide involontaire et de détention d’une arme à feu. En janvier 2013, M. Lanigan fut interpellé sur le fondement du mandat d’arrêt européen. Toutefois, il s’opposa à sa remise aux autorités britanniques. L’examen de sa situation débuta en juin 2014 en raison de retards dus à des incidents de procédure. La décision d’exécution fut de nouveau retardée par des demandes d’informations supplémentaires suite à l’argument de M. Lanigan selon lequel sa remise aux autorités britanniques serait susceptible de porter atteinte à sa vie. Fin 2014, M. Lanigan fit enfin valoir devant la High Court que la décision de remise aux autorités britanniques devait être rejetée en raison du dépassement des délais prévus dans la décision-cadre.

La Cour de justice accueille d’abord la demande de procédure préjudicielle d’urgence en constatant qu’il s’agit bien d’un litige relatif à la troisième partie du TFUE, titre V, relatif à l’espace de liberté, de sécurité, et de justice. De plus, M. Lanigan est privé de liberté et son maintien en détention dépend de la solution du litige au principal.

Elle rappelle ensuite que l’article 17, paragraphe 1, de la décision-cadre prévoit que l’adoption de la décision sur l’exécution du mandat d’arrêt européen est à «traiter et exécuter d’urgence» et vise aux paragraphes suivants de ladite décision des délais précis à respecter ainsi qu’une possibilité de les prolonger. Le renvoi préjudiciel pose ainsi la question de savoir si l’adoption de la décision sur l’exécution du mandat d’arrêt européen, d’une part, et le maintien de la personne recherchée en détention sur la base de ce mandat, d’autre part, demeurent possibles lorsque l’Etat membre ne s’est pas conformé à l’obligation d’adopter une décision finale sur l’exécution de ce mandat d’arrêt dans les délais impartis par l’article 17 de la décision-cadre.

En ce qui concerne la question relative à la décision sur l’exécution du mandat d’arrêt européen, après que la Cour ait constaté que l’article 15, paragraphe 1, de la décision-cadre ne précise pas explicitement si l’exécution d’un mandat d’arrêt doit être poursuivie après l’expiration des délais prévus, elle souligne que les Etats membres sont en principe tenus de donner suite à un mandat d’arrêt européen en vertu de l’article 1, paragraphe 2, de la décision-cadre. Cette obligation cesse seulement dans des conditions précises prévues aux articles 3, 4, et 4 bis de la décision-cadre. La Cour de justice constate qu’en raison du caractère central de l’obligation d’exécuter le mandat d’arrêt européen ainsi que de l’absence d’indication explicite de limitation temporelle de cette obligation, il ne peut être interprété qu’après l’expiration des délais prévus à l’article 17 de la décision-cadre l’autorité judiciaire d’exécution ne pourrait plus adopter la décision sur l’exécution du mandat d’arrêt européen. Elle met en lumière notamment qu’une interprétation différente serait susceptible de porter atteinte à l’objectif d’accélération et de simplification de la coopération judiciaire, poursuivi par la décision-cadre. Ainsi, la seule expiration des délais prévus à l’article 17 de la décision-cadre n’exempte pas l’Etat membre d’exécution de son obligation de poursuivre la procédure et d’adopter la décision sur l’exécution d’un mandat d’arrêt européen.

En ce qui concerne la question relative au maintien de la personne recherchée en détention, la Cour de justice rappelle que l’article 12 de la décision-cadre prévoit que l’autorité judiciaire d’exécution décide s’il convient de maintenir une personne arrêtée sur la base d’un mandat d’arrêt européen en détention, conformément au droit de l’Etat membre d’exécution. Elle constate donc que cet article ne prévoit pas que le maintien de la personne recherchée en détention serait envisageable uniquement dans des limites temporelles précises, ni que cette détention serait exclue après l’expiration des délais prévus à l’article 17 de la décision-cadre. Bien qu’une possibilité de mise en liberté provisoire soit prévue à l’article 12 de la décision-cadre, celle-ci n’est pas expressément destinée à l’hypothèse de l’expiration des délais prévus à l’article 17 de la décision-cadre. En outre, la Cour de justice souligne qu’aucune autre disposition ne prévoit une telle obligation dans cette circonstance. Elle précise par ailleurs que si l’article 23, paragraphe 2, de la décision-cadre prévoit qu’après l’expiration des délais pour la remise de la personne recherchée à la suite de l’adoption de la décision sur l’exécution, cette personne est remise en liberté si elle se trouve toujours en détention, l’article 17 de la décision-cadre, lui, ne prévoit pas de remise en liberté de la personne après expiration des délais d’adoption de la décision d’exécution. Pour la Cour de justice, une obligation générale et inconditionnelle de mise en liberté de cette personne après l’expiration des délais ou lorsque la durée totale de la détention excède lesdits délais pourrait limiter l’efficacité du système de remise instauré par la décision-cadre, et, faire ainsi obstacle à la réalisation des objectifs de celui-ci. En principe, la Cour de justice constate que les articles 12 et 17 ne s’opposent pas à ce que l’autorité judiciaire d’exécution maintienne la personne recherchée en détention après l’expiration des délais fixés à l’article 17, même si la durée totale de la période de détention de cette personne excède ces délais.

Toutefois, en raison du fait que la décision-cadre ne peut avoir pour effet de modifier les droits fondamentaux tels que consacrés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union et plus particulièrement son article 6 qui prévoit que toute personne a droit à la liberté et à la sûreté, l’article 12 de la décision-cadre doit être lu en conformité avec celui-ci. La Cour de justice rappelle qu’en vertu de l’article 52 de la Charte, les limitations à l’article 6 de la Charte doivent nécessairement être prévues par la loi, respecter le contenu essentiels des droits prévus à cet article, respecter le principe de proportionnalité c’est-à-dire être nécessaire et répondre à des objectifs d’intérêt général connus. De plus, aucune disposition de la Charte ne peut avoir pour effet de limiter ou de porter atteinte aux droits reconnus par la CEDH en vertu de l’article 53 de la Charte. Ainsi, la Cour de justice renvoie à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, selon lequel lors d’une procédure d’extradition, la détention cesse d’être justifiée lorsque cette procédure n’est pas menée avec la diligence requise (CourEDH, Quinn c. France, 22 mars 1995). La Cour de justice en tire la conclusion qu’au terme de l’expiration des délais prévus à l’article 17 de la décision-cadre, le maintien de la détention ne pourra être conforme à l’article 6 de la Charte que si la procédure d’exécution du mandat d’arrêt a été menée avec suffisamment de diligence et ne présente pas un caractère excessif. La Cour de justice renvoie pour cet examen au juge national en précisant toutefois que la circonstance selon laquelle la période de détention excède les délais fixés à l’article 17 de la décision-cadre est pertinente pour cet examen, dans la mesure où ces délais sont en principe suffisants dans un système reposant sur le principe de reconnaissance mutuelle.

Ces précisions sont bienvenues. En effet, la possibilité de maintenir une personne en détention sans aucune garantie dans le cas d’une absence d’adoption d’une décision d’exécution dans les délais impartis aurait été excessive, d’autant plus qu’une remise en liberté automatique est prévue dans l’hypothèse où les autorités d’un Etat membre n’ont pas remis la personne en détention dans les délais impartis après l’adoption d’une décision d’exécution d’un mandat (article 23 de la décision-cadre).


Lucie Vétillard, "Personne en détention et dépassement des délais dans l’exécution d’un mandat d’arrêt européen ?", actualité du 22 juillet 2015 - www.ceje.ch