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La Cour de justice revoit la procédure d’adoption de listes des « pays tiers sûrs » dans le cadre de la directive sur l’octroi et le retrait du statut de réfugié

Eléonore Maitre , 26 mai 2008

La Cour de justice des Communautés européennes a rendu, le 6 mai 2008, un arrêt Parlement c. Conseil (C-133/06) par lequel elle a annulé partiellement la directive 2005/85/CE (PDF) du Conseil de l’Union européenne, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres. Cette directive qui avait été adoptée sur la base, notamment, de l’article 63, premier alinéa, point 1, sous d), CE, pose le principe que certains Etats tiers devraient être considérés comme sûrs, établissant ainsi la présomption que le demandeur y est en sécurité et permettant aux Etats membres de rejeter la demande d’asile sans examen complet du dossier. Les dispositions attaquées prévoient que des listes communes des pays tiers sûrs (soit le pays d’origine du demandeur, soit le pays depuis lequel il est entré sur le territoire d’un Etat membre) devraient être adoptées par le Conseil statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission européenne, après consultation du Parlement européen.

Le Parlement, soutenu par la Commission, a fait valoir que cette procédure viole le droit communautaire en méconnaissant l’article 67, paragraphe 5, premier tiret, CE lequel prévoit le recours à la procédure de codécision pour toute mesure adoptée sur la base de l’article 63, premier alinéa, point 1 ou 2, sous a), CE pour autant que le Conseil ait adopté une législation définissant les règles communes et les principes essentiels de cette matière. Le Parlement a soutenu que le Conseil se serait ainsi attribué une compétence qui n’est pas prévue par le traité et qui ne pourrait en aucun cas être justifiée par l’existence d’une pratique du Conseil. Ce dernier a, quant à lui, estimé que rien ne s’opposait à ce qu’un acte adopté en conformité avec le traité créé une base juridique dérivée par le biais d’une procédure d’adoption simplifiée. En outre, le Conseil a soutenu que l’adoption de règles communes et principes essentiels constitue un critère substantiel qui n’était pas rempli en l’espèce.

La Cour de justice, dans un premier temps, relève que le Conseil aurait pu invoquer, lors de l’adoption de la directive, l’application de l’article 202, troisième tiret, CE aux fins de l’adoption de mesures ne présentant pas un caractère essentiel (voir en ce sens l’arrêt Allemagne c. Commission, du 27 octobre 1992, C-240/90). A la condition de justifier dûment sa décision, le Conseil aurait ainsi pu se réserver une compétence d’exécution normalement attribuée à la Commission (voir l’arrêt Commission c. Conseil, du 18 janvier 2005, C-257/01). Toutefois, ce dernier ayant lui-même souligné l’importance de la désignation de pays tiers comme étant sûrs et n’ayant offert aucun argument tendant à justifier une telle décision, le recours à cette disposition du traité CE n’est pas envisageable.

Dans un deuxième temps, la Cour note que l’article 67 CE ne prévoit que deux types de procédures, soit la procédure d’adoption à l’unanimité, après consultation du Parlement, soit la procédure de codécision conformément à l’article 251 CE. Or, en l’espèce, le Conseil a prévu une procédure d’adoption à la majorité qualifiée, outrepassant ainsi les limites des attributions qui lui sont conférées par le traité et remettant en cause le principe de l’équilibre institutionnel. La Cour de justice soulève d’ailleurs que l’existence alléguée d’une pratique du Conseil consistant à adopter des actes juridiques dérivés ne saurait en aucun cas créer un précédent susceptible de fonder une dérogation aux règles établies par le traité.

Enfin, la Cour de justice se penche sur la condition inscrite à l’article 67 CE qui prévoit le recours à la procédure de codécision pour l’adoption de mesures visées à l’article 63 CE pour autant que le Conseil en ait définit les règles communes et les principes essentiels. Elle a ainsi constaté qu’il résulte des dispositions de la directive 2005/85 que celles-ci fixent des critères détaillés pour l’adoption ultérieure de listes des pays sûrs, et que cette condition doit donc être considérée comme remplie. La procédure de codécision était donc applicable en l’espèce et la Cour a conclu à l’annulation des articles 29, paragraphes 1 et 2, et 36, paragraphe 3, de la directive sur l’octroi et le retrait du statut de réfugié.

On relèvera toutefois que l’essentiel des critiques qui avaient été soulevées au moment de l’adoption de cette directive n’ont pas été soulevées par le Parlement dans son recours, et notamment la question fondamentale de savoir si le fait de considérer que certains Etats sont sûrs, impliquant pour le demandeur d’asile un préavis défavorable à sa demande d’asile, respecte les droits de l’homme, et en particulier le principe de non refoulement. Cette question est d’autant plus importante que, comme le relève le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR), la directive ne garantit pas que tous les demandeurs d’asile auront la possibilité réelle de contester la présomption qu’un pays tiers est sûr. Cette situation est d’autant plus préoccupante que la directive ne prévoit pas d’effet suspensif à un éventuel recours contre une mesure d’éloignement. Le Parlement a ainsi fait le choix de recourir à la Cour de justice pour faire valoir une violation de ses prérogatives institutionnelles et a laissé passer l’occasion de mener le combat qui s’imposait, celui d’assurer le respect des droits humains élémentaires contenus dans le principe de non refoulement, soit le droit à la vie et l’interdiction des traitements inhumains et dégradants.


Reproduction autorisée avec indication : Eléonore Maitre, "La Cour de justice revoit la procédure d’adoption de listes des « pays tiers sûrs » dans le cadre de la directive sur l’octroi et le retrait du statut de réfugié", www.ceje.ch, actualité du 26 mai 2008.