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Un consommateur averti en vaut-il deux ?

Laura Marcus , 23 septembre 2015

Un litige opposant M. Costea, avocat en droit commercial roumain, à la SC Volksbank, un organisme bancaire, a récemment donné une nouvelle occasion à la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après CJUE), via une demande en interprétation préjudicielle posée par le tribunal de première instance d’Oradea (Roumanie),  de se prononcer sur la notion de consommateur au sens de la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (ci-après directive 93/13). Arrêt C-110/14 du 3 septembre 2015.

M. Costea, exerçant la profession d’avocat, a conclu le 4 avril  2008, un contrat de crédit avec Volksbank en sa qualité de personne physique d’une part et en sa qualité de représentant de son cabinet d’avocat d’autre part, en raison du fait que le crédit était garanti par une hypothèque constituée sur un immeuble appartenant au cabinet de M. Costea. Le 24 mai 2013, celui-ci a introduit une requête visant à faire constater le caractère abusif d’une clause du contrat de crédit.

La CJUE relève tout d’abord que la protection accrue accordée aux consommateurs par la directive trouve son économie générale dans le fait que le consommateur est dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel, en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information (§18).

La Cour rappelle ensuite que la notion de « consommateur » a un caractère objectif et est indépendante des connaissances concrètes que la personne concernée peut avoir (§21).

Un avocat ne saurait ainsi d’emblée être exclu de la notion de « consommateur » (en tant que partie faible au contrat), surtout lorsqu’il agit à des fins n’entrant pas dans l’exercice de son activité professionnelle (§§25-27).

Le fait que M. Costea avait également signé le contrat en sa qualité de représentant de son cabinet d’avocat est sans incidence sur ce constat. Le contrat principal ayant bien été conclu par celui-ci en sa qualité de personne physique. Le contrat hypothécaire, signé par M. Costea en sa qualité de représentant de son cabinet, n’est qu’un accessoire au contrat principal (§29).

Suivant les conclusions de son avocat général, la CJUE en conclut que la notion de consommateur au sens de la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’une « personne physique exerçant la profession d’avocat […] peut être considérée comme un «consommateur» […] lorsque le […] contrat n’est pas lié à l’activité professionnelle de cet avocat. La circonstance que la créance née du même contrat est garantie par un cautionnement hypothécaire contracté [comme] représentant de son cabinet d’avocat […] n’est pas pertinente à cet égard » (§30).

La CJUE fait-elle preuve d’un excès de paternalisme dans cet arrêt ?

Il serait tentant de l’affirmer après une lecture rapide de l’arrêt commenté. En effet, M. Costea a signé le contrat litigieux sous deux qualités distinctes, personne physique d’une part et représentant de son cabinet d’avocat d’autre part. Or, concrètement, les connaissances juridiques de M. Costea sont les mêmes lorsqu’il agit sous l’une ou l’autre de ces casquettes.

Cependant, il nous semble que la Cour a fait le bon choix en accordant la qualité de consommateur à M. Costea dans le cadre du contrat en litige.

En effet, tout d’abord, cette interprétation s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence précédente de la Cour (notamment concernant les contrats mixtes, sur lesquels nous ne reviendrons pas ici mais nous renvoyons à l’analyse assez fouillée de l’avocat général Cruz Villalon dans ses conclusions du 23 avril 2015).

Ensuite, des considérations de fait, comme le degré de connaissance juridique détenu par un individu (critère de tout évidence subjectif), ne peuvent influencer la qualification d’une personne en tant que « consommateur » au risque de contrevenir aux principes de sécurité et de prévisibilité juridique auxquels tant les consommateurs que les professionnels sont en droit de prétendre sur base de la directive 93/13.

Par ailleurs, décider autrement reviendrait à nier la qualité de consommateur à toute personne qui, lors de la conclusion du contrat, aurait reçu une assistance juridique.

Enfin, il s’agissait ici de déterminer si la qualification de « consommateur » devait être donnée ou non à une personne physique. Tout autre est la question du degré de connaissance de ce consommateur. En effet, une fois la qualification donnée, interviendra l’appréciation in concreto du contrat (mais également, et plus généralement en droit de la consommation, de la pratique commerciale). A ce stade, et à ce stade seulement, les connaissances du consommateur pourraient être prises en considération afin d’évaluer la pratique (il s’agira généralement de faire référence au consommateur moyen mais également, dans certaines hypothèses, au consommateur particulièrement vulnérable ou avisé).

Ainsi, s’agissant d’une question de qualification (et donc d’application ou non de la directive) et non d’une question d’appréciation au fond, il nous faut reconnaitre que le titre de la présente contribution est probablement mal choisi. « Un individu averti peut-il être un consommateur ? » aurait probablement été plus correct (mais, vous en conviendrez, beaucoup moins accrocheur).

Notons enfin que l’interprétation de la notion de consommateur donnée par la CJUE dans l’arrêt Costea parait pouvoir s’étendre au droit de la consommation en général. En effet, les instruments adoptés en la matière reprennent une définition (quasi-) identique à celle analysée dans la présente affaire.


Laura Marcus, « Un consommateur averti en vaut-il deux ? », 23 septembre 2015, www.ceje.ch