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La responsabilité de la société mère du fait d’infractions commises par ses filiales en droit de la concurrence : présomption et moyens de renversement de la preuve

Nicolas Jade Bitar , 24 septembre 2009

C’est dans le cadre d’une affaire mettant en scène une entente d’entreprises à l’échelle aussi bien mondiale qu’européenne que le litige soumis à la Cour de justice a été tranché le 10 septembre 2009. L’entente a eu lieu dans le secteur du chlorure de choline (employé comme additif alimentaire pour animaux), où un nombre d’entreprises nord américaines et européennes ont eu recours à des pratiques anticoncurrentielles de 1992 à 1998. A l’issue de l’enquête lancée par la Commission européenne, il s’est avéré que cinq filiales de la société Akzo Nobel ont pris part à l’entente. Constatant que le groupe Akzo en question détient 100% du capital de chacune de ses sociétés filles, l’Autorité de concurrence inflige une amende solidaire aux cinq sociétés ainsi qu’à leur société mère s’élevant à 20,99 millions d’euros.

C’est une question d’imputabilité de l’amende à la société mère du fait de ses filiales, et donc de détermination du montant de cette même amende (car son montant est déterminé en fonction du chiffre d’affaire de l’entreprise ayant pris part à l’entente), qui se pose à la Cour de justice dans cet arrêt Akzo (C-97/08, Akzo Nobel NV contre Commission). L’ensemble du litige porte sur la présomption qui découle ou non du fait qu’Akzo Nobel soit l’unique détenteur du capital de ses filiales.

Une telle discussion a lieu d’être en droit des pratiques anticoncurrentielles par la prise en compte dans les problèmes de concurrence d’un certain réalisme économique que ne saurait retranscrire une approche limitée au juridique. D’une part, le caractère quasi-pénal de la matière implique d’imputer l’infraction de manière stricte, soit uniquement à son auteur. D’autre part, il est évident que plusieurs personnes au sens juridique du terme (le plus souvent des sociétés) puissent agir de concert et former ensemble une seule et même entité économique qualifiable d’entreprise. Ainsi, si c’est indéniablement l’entreprise qui est soumise au droit de la concurrence, il reste à déterminer quelles sont les personnes juridiques constituant l’entreprise en question, et c’est bien là ce qu’Akzo Nobel et ses filiales entendent contester dans le présent arrêt.

Plus concrètement, les requérants reprochent au juge de première instance (le TPI) d’avoir posé une présomption de participation de la société mère à l’entreprise et par là même présumer sa responsabilité dès lors qu’elle détient 100% du capital. Ils se basent sur une jurisprudence traditionnelle du Tribunal comme de la Cour qui, de manière générale, semble admettre que la détention du capital de la société mère par la société fille n’est pas en soi suffisant pour en déduire un tel lien. En réponse, et en complément à sa jurisprudence antérieure, la Haute juridiction communautaire, fortement épaulée par les conclusions de son avocat général, Mme Kokott, précise qu’il appartient aux demandeurs de remettre en cause la présomption du lien frauduleux entre la société mère et ses filiales, et non à la Commission de l’établir, dès lors qu’il est constant que le contrôle financier de celles-ci est totalement aux mains de celle-là.

L’arrêt rendu met donc le doigt sur un point qui pouvait prêter à confusion dans le cadre de sa jurisprudence antérieure, et sur lequel il semblerait que le TPI lui-même se soit à plusieurs occasions mépris (point 67 et suivants des conclusions de l’avocat général). La détention par une société mère de l’ensemble des capitaux de sa filiale participant à une entente, n’est certes en aucun cas un élément essentiel à l’engagement de sa responsabilité, qu’il conviendrait de corroborer avec un élément de preuve tel que le parallélisme des comportements des sociétés sur le marché. Mais il s’agit au contraire d’un fait entraînant présomption que la société mère a eu connaissance, sinon a été l’instigateur du comportement de sa filiale.

Il demeure qu’une telle présomption n’est pas, théoriquement du moins, irréfragable. Cependant, ne constitue pas, aux yeux de la Cour, une preuve suffisante le fait que le comportement des sociétés parentes n’ait pas été le même sur le marché. Prenant en considération l’influence non négligeable qui découle d’une telle situation de fait, le juge communautaire établit un mode de renversement de la charge de la preuve particulièrement ardu à satisfaire. Il s’agit de tenir compte d’une multitude « d’éléments pertinents relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent cette filiale à la société mère, lesquels peuvent varier selon les cas et ne sauraient donc faire l’objet d’une énumération exhaustive » (point 74).

Aussitôt salué par la Commission européenne via le communiqué de presse, il est vrai que le présent arrêt a pour conséquence concrète de faciliter le travail de l’Autorité de concurrence, dont le travail est dorénavant limité en aval à constater les liens financiers entre la société mère et sa filiale. En contrepartie, la charge de la preuve s’avère particulièrement lourde, voire impossible à porter pour les requérants potentiels. Il incombera à la Cour de préciser ce mode de preuve au fil des affaires. Elle a d’ores et déjà repoussé les arguments tenant à l’instauration illégitime d’un régime de responsabilité sans faute pour la société mère, soulignant en toute logique juridique que c’est ici l’entreprise qui est tenue pour responsable, et qu’il s’agit de déterminer si la société mère en fait partie et non d’étendre l’imputabilité à une deuxième entité.


Reproduction autorisée avec indication : Nicolas Jade Bitar, "La responsabilité de la société mère du fait d’infractions commises par ses filiales en droit de la concurrence : présomption et moyens de renversement de la preuve", www.ceje.ch, actualité du 24 septembre 2009.

Catégorie: Concurrence