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Eléments à prendre en compte pour s’assurer de l’indépendance de la nouvelle chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise

Vincenzo Elia , 25 novembre 2019

Avec l’arrêt A.K., (aff. jtes C-585/18, C-624/18 et C-625/18), du 19 novembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « la Cour »), a été appelée à se prononcer, au titre de l’article 267 TFUE, sur l’interprétation des articles 2 et 19 § 1, alinéa 2, TUE, de l’article 267, alinéa 3, TFUE, de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte »), et de l’article 9 § 1 de la directive 2000/78, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.

Il s’agit, en l’espèce, de demandes présentées dans le cadre d’un litige opposant des juges de la Cour suprême administrative et de la Cour suprême, à cette dernière juridiction, au sujet de leur mise à la retraite anticipée (§ 2) en conséquence de l’entrée en vigueur, le 8 décembre 2019, de la nouvelle loi polonaise sur la Cour suprême (ci-après « la loi polonaise »). Ils invoquaient, entre autres, des violations de l’interdiction de discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi.

A la suite des recours en justice, la loi polonaise a fait l’objet de modifications et ne concerne plus les juges qui, à l’instar des requérants au principal, étaient déjà en exercice au sein de la Cour suprême lors de son entrée en vigueur. Par conséquent, lesdits requérants ont été maintenus ou réintégrés dans leurs fonctions. Néanmoins, la juridiction de renvoi a retenu d’être toujours confrontée à un problème de nature procédurale. En effet, alors que le type de litige en cause relevait normalement de la compétence de la chambre disciplinaire, nouvellement instituée au sein de la Cour suprême, elle se questionnait sur l’opportunité, en raison de doutes quant à l’indépendance de cette instance, de devoir écarter les règles nationales de répartition des compétences juridictionnelles et, le cas échéant, se saisir elle-même du fond de ces litiges.

La Cour, après avoir confirmé l’applicabilité, en l’occurrence, tant de l’article 47 de la Charte que de l’article 19 § 1, alinéa 2, TUE, a rappelé que l’exigence d’indépendance des juridictions relève du contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit fondamental à un procès équitable. Ces droits revêtent, en effet, une importance cardinale en tant que garants de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union européenne et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE. La Cour a également rappelé sa jurisprudence sur la portée de l’exigence d’indépendance et a relevé que, conformément au principe de séparation des pouvoirs qui caractérise le fonctionnement d’un État de droit, l’indépendance des juridictions doit être garantie à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif.

Ensuite, la Cour a souligné les éléments spécifiques que la juridiction de renvoi est tenue de prendre en compte pour apprécier si la chambre disciplinaire de la Cour suprême offre ou non des garanties suffisantes d’indépendance.

En premier lieu, la Cour a indiqué que le seul fait que les juges de la chambre disciplinaire soient nommés par le président de la République n’est pas de nature à créer une dépendance à l’égard du pouvoir politique, ni à engendrer des doutes quant à leur impartialité, si, une fois nommés, ils ne sont soumis à aucune pression et ne reçoivent pas d’instructions dans l’exercice de leurs fonctions. Par ailleurs, l’intervention, en amont, du Conseil national de la magistrature, chargé de proposer les juges en vue de leur nomination, doit être en mesure d’encadrer objectivement la marge de manœuvre du président de la République. Il est toutefois nécessaire de s’assurer que cet organe, soit lui-même suffisamment indépendant à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif ainsi que du président de la République. A ce sujet, la Cour a précisé qu’il importe de tenir compte d’éléments tant factuels que juridiques ayant trait à la fois aux conditions dans lesquelles les membres du nouveau Conseil de la magistrature polonais ont été désignés et à la manière dont celui-ci remplit concrètement son rôle de gardien de l’indépendance des juridictions et des juges. La Cour a également indiqué qu’il convient de vérifier la portée du contrôle juridictionnel des propositions du Conseil de la magistrature, dans la mesure où les décisions de nomination du président de la République ne sont pas, quant à elles, susceptibles de faire l’objet d’un tel contrôle.

En deuxième lieu, la Cour a mis en exergue d’autres éléments, qui doivent caractériser la chambre disciplinaire. Dans le contexte particulier issu de l’adoption, fortement contestée, des dispositions de la nouvelle loi polonaise, la Cour a pu relever que la chambre disciplinaire s’est vu confier une compétence exclusive pour connaître des litiges ayant trait à la mise à la retraite des juges de la Cour suprême. En outre, la loi polonaise prévoyait que la chambre disciplinaire devait être composée uniquement de juges de nouvelle nomination et qu’elle devait jouir d’un degré d’autonomie particulièrement poussé au sein de la Cour suprême. Dans l’arrêt Commission c. Pologne (aff. C-619/18), du 24 juin 2019, la Cour a pu statuer que de telles mesures étaient contraires au droit de l’Union européenne. En effet, la Cour a précisé que si chacun des éléments examinés, pris isolément, ne sont pas forcément de nature à mettre en doute l’indépendance de la chambre disciplinaire, il peut, en revanche, en aller différemment lorsqu’ils sont envisagés de manière combinée.

Vincenzo Elia, « Eléments à prendre en compte pour s’assurer de l’indépendance de la nouvelle chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise », actualité du 25 novembre 2019, disponible sur www.ceje.ch