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Droits fiscaux disproportionnés perçus par les Etats membres dans le cadre de la mise en œuvre de la directive 2003/109

Mihaela Nicola , 25 mai 2012

Le caractère excessif du montant des droits réclamés par les autorités néerlandaises des ressortissants turcs sollicitant la délivrance ou la prolongation d’un permis de séjour, sur le fondement des dispositions de l’accord d’association CEE-Turquie, avait été censuré par la Cour de justice à deux reprises, tant par voie préjudicielle (arrêt Sahin, aff. C-242/06), que dans le cadre d’une procédure en manquement (arrêt Commission c. Pays-Bas, aff. C-92/07). Les deux jugements de la Cour de justice reposaient sur un constat d’incompatibilité de la réglementation néerlandaise avec l’interdiction de discrimination entre les ressortissants turcs et ceux des Etats membres de l’Union, d’une part, et avec les règles de standstill prévues dans l’accord d’association CEE-Turquie, d’autre part. Dans l’arrêt du 26 avril 2012, la Cour de justice a été amenée à constater un nouveau manquement des Pays-Bas. Il était question cette fois-ci de la perception de droits fiscaux pour la délivrance d’un titre de séjour aux ressortissants de pays tiers, indistinctement de leur nationalité, ayant la qualité de résidents de longue durée en application de la directive 2003/109.

Selon le considérant 10 de la directive 2003/109, les procédures régissant l’examen de la demande d’acquisition du statut de résident de longue durée par un ressortissant d’un pays tiers devraient être « efficaces et gérables », ainsi que « transparentes et équitables ». Deux catégories de bénéficiaires du statut de résident de longue durée sont visées par ladite directive. La première catégorie, qui relève du chapitre II, comprend les ressortissants de pays tiers qui ont résidé de manière légale et ininterrompue sur le territoire de l’Etat membre d’accueil pendant les cinq années qui ont immédiatement précédé l’introduction de la demande et qui remplissent certaines conditions pour eux-mêmes et les membres de leur famille. La seconde concerne les ressortissants de pays tiers et des membres de leur famille ayant déjà acquis ce statut dans un autre Etat membre et souhaitant la reconnaissance d’un droit de séjour dans le dernier Etat membre d’accueil (chapitre III de la directive). Les Pays-Bas imposent à un ressortissant étranger, aux fins du traitement d’une demande relevant de l’une ou de l’autre catégorie, le paiement de droits fiscaux, dont le montant varie entre 188 et 830 euros. La Commission européenne a introduit un recours en manquement à l’encontre des Pays-Bas suite au dépôt de plusieurs plaintes émanant de ressortissants des pays tiers.

En premier lieu, la Cour de justice traite l'exception d'irrecevabilité soulevée par les Pays-Bas. Ceux-ci font valoir que le recours de la Commission doit être déclaré irrecevable, dans la mesure où la Commission n’a invoqué aucune disposition contraignante de la directive à l’appui de son recours en manquement. En outre, ils considèrent que l’objet dudit recours devrait être limité aux droits fiscaux exigés des ressortissants de pays tiers lors du traitement d’une demande tendant à obtenir un titre de séjour sur le fondement du chapitre II de la directive, à l’exclusion de ceux requis pour le traitement d’une demande introduite sur le fondement du chapitre III de la directive, ce dernier cas n’étant pas visé par la requête de la Commission.

Sur ce point, la Cour de justice écarte tous les arguments avancés par les Pays-Bas. Se fondant sur son arrêt Commission c. Italie (aff. C-202/99), elle rappelle d’abord qu’en l’absence de disposition explicite d’une directive à l’appui d’un recours en manquement, celui-ci est recevable, dans la mesure où la Commission vise à démontrer que l’Etat membre concerné a violé « l’économie générale, l’esprit et l’objectif » de la directive concernée. Or, tel est le cas en l'espèce. Comme la Cour de justice le souligne, la Commission a soutenu, à la lumière des « considérants » de la directive, que le montant disproportionné des droits réclamés des ressortissants de pays tiers prétendant à un droit de séjour au titre de la directive 2003/109, « porte atteinte à l’objectif poursuivi par celle-ci et entrave dès lors l’exercice des droits conférés à de tels ressortissants ». Pour ce qui est de l’étendue du recours en manquement, la Cour de justice estime qu’il couvre les droits fiscaux exigés lors du traitement des demandes relevant tant du chapitre II de la directive, que du chapitre III de celle-ci, tel qu’il ressort de la lettre de mise en demeure, de l’avis motivé et de la requête introduite par la Commission.

Sur le fond, la Cour condamne la réglementation néerlandaise régissant la perception de droits fiscaux pour la délivrance d’un titre de séjour prévu par la directive 2003/109. S’il est vrai que la fixation du montant des droits pour la délivrance de titres de séjour de longue durée relève, en vertu de ladite directive, du pouvoir d’appréciation des Etats membres, il n’en demeure pas moins que ce pouvoir ne doit pas mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par la directive, liés à l’intégration des ressortissants de pays tiers ayant durablement séjourné sur le  territoire d’un Etat membre. Selon la Cour de justice, l’obligation faite aux ressortissants de pays tiers de verser des droits fiscaux, qui ont une incidence financière considérable, est susceptible de les priver de la possibilité de faire valoir de leurs droits au titre de la directive 2003/109. Or, en l’espèce, les montants des droits réclamés par les Pays-Bas des ressortissants de pays tiers varient à l’intérieur d’une fourchette dont la valeur la plus faible est environ sept fois supérieure au montant à acquitter par les citoyens néerlandais pour obtenir une carte nationale d’identité. Tout en soulignant que les citoyens néerlandais et les ressortissants de pays tiers ainsi que les membres de leur famille ne se trouvent pas dans une situation identique, la Cour de justice considère qu’un tel écart démontre le caractère disproportionné des droits fiscaux mis à la charge des ressortissants de pays tiers, lesquels constituent un obstacle à l’exercice de leurs droits conférés par la directive 2003/109. Au titre de cette conclusion, elle ne considère plus nécessaire de procéder à une comparaison des droits en question avec ceux perçus auprès de citoyens de l’Union européenne pour la délivrance de documents de séjour au titre de la directive 2004/38, tel que la Commission l’avait proposé dans sa requête.

La Cour de justice rend ainsi un arrêt visant à renforcer le statut juridique des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée dans les Etats membres, l’analyse portant cette fois-ci non sur le caractère discriminatoire des mesures nationales, mais sur le caractère restrictif desdites mesures à l’exercice des droits qui leur sont conférés par le droit de l’Union européenne.


Reproduction autorisée avec l’indication: Nicola Mihaela, "Droits fiscaux disproportionnés perçus par les Etats membres dans le cadre de la mise en œuvre de la directive 2003/109", www.ceje.ch, actualité du 25 mai 2012.

Catégorie: Action extérieure